Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/125

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

bien, je ne sais; mais il aurait pu rester dans ma chambre et y tousser tant qu’il aurait voulu sans risquer de m’éveiller, attendu qu’il m’était absolument impossible de fermer l’œil. Les chiens aboyaient dans la campagne, nos bêtes piaffaient dans la cour, mais il me semblait que les puces qui se promenaient sur moi faisaient plus de bruit encore. Le lendemain matin, j’avais les bras rongés par les piqûres. Qu’importe! une nuit sans sommeil est un médiocre inconvénient dans un long voyage. À l’entrée de la Galilée, il faudi’ait être bien amolli pour y faire quelque attention.


XI. — NAZARETH. — LE MONT THABOR.

Autant la Judée est sombre et désolée, autant la Galilée est gaie, aimable, souriante. Ce qu’en ont dit les voyageurs passés et présens est presque au-dessous de la vérité. Malgré le déplorable appauvrissement produit par l’islamisme, cette charmante contrée a conservé tous les caractères d’une sorte de paradis terrestre merveilleusement approprié au rêve de bonheur absolu dont Jésus charmait ses disciples dans les longs entretiens où il leur parlait des félicités prochaines du royaume de Dieu. A peine quitte-t-on Djénine pour traverser la plaine d’Esdrelon qu’on se sent dans un milieu nouveau. Cette plaine serait ravissante si elle n’avait pas été odieusement déboisée. Mais, en dépit des outrages qu’elle a subis, il en est peu d’aussi dignes d’admiration. Nulle part peut-être les montagnes n’ont des formes plus exquises, des teintes plus fines, des pentes plus adoucies. M. Renan en a fait une description qui a paru quelque peu molle à ceux qui n’avaient pas vu la délicieuse région dont elle cherche à rendre le charme délicat. « Pendant les deux mois de mars et d’avril, dit M. Renan, la campagne est un tapis de fleurs d’une franchise de couleurs incomparable. Les animaux y sont petits, mais d’une douceur extrême. Des tourterelles sveltes et vives, des merles bleus si légers qu’ils posent sur une herbe sans la faire plier, des alouettes huppées, qui viennent presque se mettre sous les pieds des voyageurs, de petites tortues de ruisseaux, dont l’œil est vif et doux, des cigognes à l’air pudique et grave, dépouillant toute timidité, se laissent approcher de très près par l’homme et semblent l’appeler. En aucun pays du monde les montagnes ne se déploient avec plus d’harmonie et n’inspirent de plus hautes pensées. » Tout cela est vrai à la lettre, sans aucune exagération de douceur et de naïveté. Que de fois n’ai-je point remarqué sous les pieds de mon cheval ces alouettes huppées qui ne songeaient même pas à fuir et qui se bornaient à me saluer au passage d’un