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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/143

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vite chez sa mère. Il était très intéressant en effet, un peu pâle, le bras en écharpe. Ce coup de stylet lui avait rendu service.

Sans aucune pruderie la belle Sylvia le suivit auprès du lit où gisait le malade. Il y avait dans ses yeux une expression qu’il ne leur connaissait pas encore. Jusque-là elle l’avait regardé avec une certaine sévérité, une certaine méfiance, dissipées maintenant.

Le petit Italien crut voir apparaître la sainte Vierge en personne quand cette belle dame, s’asseyant à son chevet, prit une de ses mains dans les siennes. Jamais il n’avait senti le contact de doigts si blancs, si délicats. Rêvait-il? sa physionomie exprimait le doute et une crainte vague. Rien de plus curieux que cette petite figure creusée par la misère. On y lisait d’abord la ruse, une intelligence naturelle très vive encore aiguisée par le contact précoce du vice ; mais le sourire était radieux et vous rassurait ; ce jeune drôle devait être en tout cas susceptible d’affection, de reconnaissance. Sylvia lui par la couramment dans sa langue maternelle, pleine de voyelles caressantes; elle lui dit qu’on aurait soin de lui, qu’il était en sûreté, que les amis qui l’avaient recueilli ne le rendraient pas aux méchans dont il ne fallait plus avoir peur; elle l’engagea doucement à remercier Dieu qui lui avait envoyé un sauveur, et l’enfant prononça le nom de la beata Vergine, en joignant les mains, mais il ne répondait toujours pas. Sans le presser, Sylvia se mit à lui chanter à demi-voix quelques stornelli de la campagne de Rome. Alors il darda sur elle son étincelant sourire et l’envie de parler lui vint.

— Je connais cela! je l’ai appris quand je gardais les bestiaux à la Torre de’ Schiavi l’année dernière.

— Quel est ton nom?

— Lorenzo.

— Et ton autre nom ?

Il secoua la tête : — Je n’en ai pas d’autre.

— Comment appelle-t-on tes parens,.. ton père?

— Je n’ai pas de père. Le mari de ma mère s’appelle Balbo.

— Et tu dis avoir vécu dans la campagne ?..

— Oh ! pas longtemps ; j’ai pris la fièvre, et on m’a renvoyé.

— Depuis tu as habité Rome ?

Si, signora.

— Qu’est-ce que tu y fais pour vivre ?

— Balbo voulait m’employer à saigner les cochons, mais je ne suis pas assez fort ; alors on m’a envoyé à l’Apollon pour aider dans les coulisses et faire des commissions, et puis on m’a chassé en disant que j’avais volé quelque chose; ce n’était pas vrai, mais depuis Balbo me bat toujours.

Il se remit à pleurer.