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sa présence avec calme ; la première illusion dont elle se fût bercée était anéantie. Il appartenait ou appartiendrait bientôt à une autre; elle n’avait plus qu’à se soumettre. Chose étrange ! il lui semblait qu’elle pourrait sans trop d’effort s’attacher à Sylvia Brabazon.

Cette dernière, de son côté, réfléchissait beaucoup. A ceux qui lui demandèrent comment elle avait trouvé miss Dawson et si le ramage répondait au plumage, elle répondit brièvement que cette jeune fille lui faisait l’effet d’un ange attristé par le contact des douleurs et des péchés de ce monde.


XVIII.

La pluie tomba plusieurs jours de suite, comme elle ne tombe qu’à Rome, par torrens, et le pique-nique à Castel-Fusano dut être retardé. Wilfred continuait à passer toutes ses soirées chez Mme Brabazon et Sylvia causait volontiers avec lui, mais en éloignant systématiquement le seul sujet qui lui tint au cœur. Sa mère, bien médiocre observatrice pourtant, remarquait qu’en l’absence de Wilfred elle restait silencieuse, absorbée, son crayon sur ses genoux, les yeux fixés une demi-heure de suite sur le ciel de plomb ou sur les toits ruisselans. Une fois, Nellie lui amena les petites Goldwin, et tandis que Mme Brabazon bourrait ces enfans de bonbons, elle esquissa la tête de leur jolie gouvernante.

Wilfred, pendant ce temps, ne vit pas Nellie une seule fois. Quand il rendait visite à Mme Goldwin, elle n’était jamais dans le salon, soit hasard, soit parti-pris; mais partout où il allait, au club anglais, dans les salons ou dans les ateliers, il entendait vanter sa beauté. L’attention générale décernée à l’idole de son adolescence le flattait secrètement. Certes il persistait plus que jamais dans le culte craintif qu’il rendait à Sylvia, mais en se réjouissant d’autre part de n’avoir fait aucun toit à Nellie, qui n’était pas à plaindre, en somme. Cette certitude lui était un demi-soulagement et calmait les remords qu’il avait commencé à concevoir.

Le premier jour où le soleil reparut après la pluie, Wilfred vit de sa fenêtre Nellie et les enfans de Mme Goldwin gravir les degrés qui conduisent au Pincio.

— Mon chapeau ! cria-t-il à Lorenzo, qui exerçait maintenant auprès de lui les fonctions de page.

Jamais il ne résistait à un premier mouvement; or son premier mouvement était cette fois de rejoindre sa petite amie et de causer avec elle en tout bien tout honneur. Wilfred ne se doutait guère que les yeux noirs de Lorenzo le guettaient de loin et qu’ils étincelaient de colère : — La noble signorina serait-elle bien aise d’apprendre que milordo se promenait avec des jeunes filles?