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haillons sordides des malheureux sauvages présentaient un contraste capable de ravir les yeux d’un philosophe. En apercevant au milieu des indigènes déguenillés des Maoris d’autrefois, le capitaine d’Urville éprouva un véritable plaisir. Ces hommes, la plupart déjà vieillis, portaient seuls le vêtement national. Parmi ces insulaires drapés dans de vastes nattes de phormium, le commandant de l’expédition française reconnaissait « quelques-unes de ces nobles figures de guerriers dont le tatouage fin et serré attestait le rang et la dignité. »

Informé de la présence des corvettes françaises, le baron de Thierry s’empressa de venir se répandre en doléances près du chef de l’expédition. Il se plaignait avec une extrême véhémence des autorités anglaises, qui contestaient la valeur de ses titres de propriété sur un vaste territoire de la vallée de la Hokianga, acheté aux naturels. Jaloux de ses richesses, disait-il, les Anglais avaient ameuté contre lui les indigènes, et ceux-ci l’abreuvaient de dégoûts. A l’instigation des missionnaires évangéliques et du gouverneur Hobson, il s’était vu réclamer ses terres par les chefs qui les lui avaient vendues ; plusieurs fois, il avait couru des risques réels pour sa vie. M. d’Urville reprochait au baron de Thierry ses actes antérieurs, en particulier ses prétentions à la royauté de la Nouvelle-Zélande, mais il dut reconnaître ses titres à la possession du sol aussi légitimes que ceux des autres Européens.

Avant de dire son dernier adieu aux lointains rivages qu’il a visités pour la troisième fois, l’illustre marin tient à recueillir les impressions des habitans sur les quelques missionnaires catholiques établis dans le pays ; ils sont sept, disséminés en divers endroits. Tout le monde s’est accordé pour affirmer leur conduite parfaite, leur désintéressement et leur charité tout à fait exemplaires. Par leurs propres mérites, ces hommes ont gagné, non-seulement l’affection de leurs coreligionnaires, mais encore l’estime de ceux qui devaient être troublés par leurs succès. Nulle part, peut-être, déclare le capitaine d’Urville, « nos missionnaires n’ont produit plus de bien que sur les rivages de la Nouvelle-Zélande. En voyant des Européens de tous les cultes vivre paisibles et unis, les naturels acquièrent des idées de tolérance qui délivrent la rivalité religieuse de trop grands dangers. Comme partout, les missionnaires protestans ont songé à leurs intérêts, tout en cherchant à faire des prosélytes ; — ils possèdent des terres dont la valeur deviendra bien considérable, grâce à l’occupation anglaise. »


V.

Au mois de novembre 1838, la huitième réunion de l’Association britannique pour l’avancement de la science se tenait à Newcastle;