aussi les libres penseurs intolérans s’inspirer de l’exemple que ce grand homme leur a donné ! — « Désormais mon île était peuplée et je me trouvais très riche en sujets. Souvent je n’ai pu m’empêcher de rire en comparant ma situation à celle d’un roi. D’abord tout le pays était ma propriété incontestable, et j’avais par conséquent le droit de le gouverner. Ensuite tous mes peuples me devaient la vie et tous étaient prêts à la sacrifier pour moi. Mes trois sujets se trouvaient chacun d’une religion différente. Mon domestique Vendredi était protestant, son père idolâtre et cannibale, l’Espagnol catholique romain. J’accordai la liberté de conscience dans toute l’étendue de mes états. » — C’était assurément un âpre et farouche protestant que Robinson : il ne laissa pas de se lier d’une tendre amitié avec un prêtre catholique, qu’il avait recueilli sur mer. « Peut-être me blâmera-t-on, disait-il, de tant vanter un homme qui avait aux yeux d’un protestant anglais le triple tort d’être papiste, prêtre et Français. La justice m’oblige à le montrer tel qu’il était ; je dois avouer que c’était un homme grave, tempérant, religieux, de mœurs irréprochables, d’une charité sans bornes, exemplaire de tout point. » Saint Robinson, enseignez-nous la tolérance !
Daniel Defoe était un homme fort bizarre ; ce corrompu avait un grand esprit et une grande âme, et il nous condamne à le plaindre en l’admirant, à l’admirer en le plaignant. Après nous avoir dit que l’auteur de Robinson était le plus grand menteur que le monde ait jamais vu, son sévère biographe ajoute : « Si ma honnête qu’ait été sa vie, quand nous pénétrons dans les profondeurs de cette nature si riche et si étrangement mêlée, nous rencontrons d’immuables fondemens de conscience. Defoe nous apparaît tour à tour comme un vil intrigant et comme le plus sincère des patriotes ; mais ce caractère est si complexe, l’énergie du personnage si prodigieuse que l’industrie humaine est impuissante à débrouiller cet écheveau. Aucun publiciste de son temps ne fut plus fidèle aux principes de la révolution, aucun ne sut si bien démêler les vrais intérêts de son pays et ne les servit avec plus de constance. Il travailla pour l’union de l’Angleterre et de l’Écosse et pour assurer à une dynastie protestante la succession du royaume-uni ; il fut aussi le plus intrépide et le plus puissant avocat du progrès social sous toutes ses formes. Si on le juge par les mesures qu’il a défendues et non par les moyens souvent méprisables qu’il a employés, peu d’Anglais ont mérité autant que lui la reconnaissance de leur pays. »
Son malheur est d’avoir vécu dans un temps de corruption politique sans pudeur et sans retenue. Il était infiniment curieux ; il avait visité tous les tripots. Quels exemples lui étaient donnés ! à quels tristes marchandages n’avait-il pas assisté ! Les places et les pensions, comme le fait remarquer M. Minto, dépendaient de la faveur du souverain, et la royauté mal assise cherchait à se faire des amis que le