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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/263

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inimitiés. On ne jouit pas de la haute et double faveur d’un empereur et d’une impératrice sans éveiller des jalousies, ni sans froisser des intérêts. D’après les uns, il aurait toujours parlé le langage de la raison et réagi en toute occasion contre les tendances belliqueuses ; d’après les autres, il aurait exercé sur les résolutions du souverain l’influence la plus néfaste. Ses détracteurs lui reprochent de s’être fait à la cour et dans les conseils du gouvernement, sous l’influence du prince Napoléon, inspiré lui-même par M. Nigra et le comte de Goltz, le représentant officiel et véhément de la politique prusso-italienne ; ils l’accusent surtout d’avoir empêché, au lendemain de Sadowa, en invoquant des devoirs et des périls imaginaires, une démonstration militaire qui, d’après eux, eût suffi pour sauvegarder les intérêts traditionnels de la France, car ni l’Italie, qui avait à se remettre d’une défaite, ni la Prusse, dont l’armée était décimée par le choléra, n’auraient osé, ayant encore sur les bras l’Autriche et les états du Midi, repousser nos demandes et à plus forte raison nous déclarer la guerre[1].

M. de La Valette n’a jamais nié ni jamais regretté l’action déterminante que, le 5 juillet 1866, il avait, de compte à demi avec le prince Napoléon, exercée sur les résolutions de son souverain[2]. Il est resté convaincu qu’en contre-carrant M. Drouyn de Lhuys qui conseillait la convocation instantanée du corps législatif, la demande d’un emprunt d’un milliard, et l’envoi d’une armée sur le Rhin, il avait sauvé la dynastie et préservé la France d’une guerre immédiate et désastreuse, car d’après lui nous n’avions pas cinquante mille hommes à mettre en ligne pour soutenir nos prétentions. M. de La Valette m’a raconté peu de semaines avant sa mort la scène dramatique qui eut lieu au palais de Saint-Cloud dans la journée du 5 juillet : c’est une page d’histoire qui mérite d’être fixée, on me saura gré de l’avoir retenue.

« En arrivant à Saint-Cloud, me disait-il, je fus fort étonné d’apprendre que l’empereur et l’impératrice tenaient conseil avec le ministre d’État et avec le ministre des affaires étrangères. On avait, sur la demande formelle de M. Drouyn de Lhuys qui redoutait ma présence, négligé de me convoquer. J’entrai dans la salle du conseil sans me

  1. Voyez la brochure de M. Pradier-Fodéré, inspirée par M. Drouyn de Lhuys. — A travers la diplomatie, par M. Hansen. — Les Coulisses de la diplomatie, par M. Sidney Renouf. — L’Allemagne nouvelle, par le duc de Gramont, paru sous le nom d’Andréas Memor.
  2. M. de La Valette ne réussit qu’à faire suspendre les mesures conseillées par M. Drouyn de Lhuys. Ce fut le prince Napoléon, assisté par M. Nigra et le comte de Goltz, qui parvint, après toute une semaine de luttes véhémentes, à porterie dernier coup à la politique d’intervention. (Voir la note et la lettre du 14 juillet du prince Napoléon à l’empereur dans les papiers des Tuileries.)