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conséquences, c’est conspirer contre ses propres intérêts. Le vieux prince de Metternich déclarait, après le congrès de Paris, où l’empereur se montra si sage et si modéré, qu’il était « la raison cristallisée. » Mais, deux ans plus tard, en le voyant à Plombières s’engager avec M. de Cavour, il disait : « L’empereur a encore de belles cartes en main, mais l’empire révolutionnaire périra sur l’écueil italien. »


III. — LA COUR À COMPIÈGNE.

La cour se trouvait à Compiègne à la fin du mois de novembre. Les chasses et les fêtes se succédaient ; on s’efforçait d’oublier Sadowa et les angoisses patriotiques qui l’avaient suivi. On se flattait que, sous le coup des premières émotions, on s’était exagéré la portée des événemens ; on croyait que rien n’était changé dans le monde, que le prestige de l’empereur n’avait subi aucune atteinte, qu’il resterait comme par le passé l’arbitre écouté de l’Europe. Il est de fait qu’à Compiègne rien n’était changé : c’était la même étiquette, les mêmes visages toujours sourians et aussi les mêmes ambassadeurs empressés et obséquieux, toujours appliqués à entretenir le souverain dans de funestes illusions. Mais pour les esprits clairvoyans, l’empire commençait à chanceler sur ses bases : « Something is rotten in the state of Denmark, » disait Marcellus à Horatio. L’empereur était taciturne et songeur ; il n’intervenait plus, comme il le faisait si volontiers jadis, dans les causeries auxquelles présidait l’impératrice et dans les distractions qu’elle ménageait à ses hôtes. La foi aveugle qu’il avait en son étoile s’affaiblissait de plus en plus. Il ne demandait plus au destin, qui lui avait départi tant de faveurs, que de le laisser remettre à flot sa politique désemparée. Il bornait son ambition et sa tâche à réparer les fautes commises et à prémunir son pays, par la réorganisation rapide de l’armée et l’habileté de sa diplomatie, contre les éventualités inquiétantes de l’avenir.

Malheureusement, la fortune ne revient pas à ceux qui en ont abusé. Il est d’ailleurs des fautes irrémédiables, ce sont celles qui touchent aux conditions vitales d’un pays. Un gouvernement peut, à la rigueur, dilapider les deniers de l’état, supprimer les libertés, et même désorganiser l’administration ; il suffit d’un gouvernement réparateur pour reconstituer les finances et substituer à l’arbitraire la liberté. Mais lorsque, sous l’influence d’idées fausses et préconçues, un souverain a méconnu les intérêts qui ont assuré à un pays sa force et sa grandeur, l’habileté d’un homme, la sagesse d’un gouvernement ne suffisent plus pour réagir contre les événemens, et pour reconquérir la situation perdue il faut alors non-seulement le patriotisme de nombreuses générations et les inspirations heureuses