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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/277

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On pouvait espérer d’ailleurs que les cours méridionales, placées entre la France et l’Autriche, qui avaient un intérêt égal à ne pas laisser transgresser les stipulations de Prague, chercheraient par la force des choses, une foi dégagées de l’étreinte du vainqueur, à échapper à l’absorption de la Prusse et à défendre leur autonomie.

L’empereur se flattait que son armée serait réorganisée et ses alliances assurées en temps opportun pour entraver les projets du cabinet de Berlin et le forcer à transiger avec nos intérêts. D’ailleurs le passage de la ligne du Mein n’avait rien d’imminent, en présence des haines et des rancunes que les violences de la Prusse avaient provoquées au nord et au midi. Il était permis de se faire illusion sur les sentimens de l’Allemagne. À aucune époque de son histoire, elle n’avait offert, au sortir de ses luttes, le spectacle de divisions et d’animosités aussi profondes qu’au lendemain de la guerre de 1866. Ce n’étaient partout que des colères et des imprécations. Les vaincus maudissaient le vainqueur et récriminaient les uns contre les autres. La Saxe reprochait à la Bavière d’avoir cédé à des calculs perfides en n’accourant pas à son secours. La Bavière accusait l’Autriche d’avoir déclaré la guerre sans être prête et sans lui avoir laissé le temps d’achever ses préparatifs. Les Hanovriens disaient que le prince Alexandre de Hesse, en restant à Francfort, impassible avec son corps d’armée, les avait perfidement laissé écraser à Langensalza. Le Wurtemberg parlait avec amertume des connivences coupables du gouvernement badois et du prince Guillaume avec l’ennemi commun, et l’Autriche, persuadée qu’elle avait été trahie par tous ses alliés, les abandonnait tous, sauf la Saxe, à la vindicte de la Prusse. Le gouvernement prussien, loin de se sentir désarmé par le spectacle de ces misères et de s’attendrir sur le sort de ses anciens confédérés, n’écoutait que ses ressentimens et sa seule pensée était de prendre tout ce qu’il était possible de prendre. Fidèle aux traditions de Frédéric le Grand, il ne s’appliquait qu’à organiser, à centraliser la Prusse, réservant à sa diplomatie et aux chances heureuses d’une nouvelle guerre le soin de compléter l’œuvre de l’unification générale et absolue. Il savait que ce n’est pas en subordonnant la raison d’état au sentiment ni en guerroyant pour des idées généreuses que les empires fondent ou conservent leur prépondérance. Aussi poursuivait-il son but avec une implacable obstination, persuadé que si les procédés violons et arbitraires soulèvent momentanément et à juste titre la conscience publique, les générations futures ne s’arrêtent que devant la grandeur de l’œuvre, sans se préoccuper des moyens mis en jeu pour l’accomplir ni des sacrifices et du sang qu’elle a pu coûter.


G. ROTHAN.