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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/331

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Cette dernière lettre dut singulièrement flatter la vanité du ministre d’Elisabeth : « Je vous écris celle-ci, disait le duc, plus pour suivre mon naturel, qui ne peut endurer que je reçoive plaisir d’aucun qu’à tout le moins je l’en mercie, d’autant que je sais que vous n’avez été poussé à ce que vous avez fait pour acheminer l’affaire qui est entre la reine d’Angleterre et moi que du seul zèle de son service et de son bien, ce qui m’induit tant plus à vous aimer et estimer. » Cavalcanti, qui était de toutes les ambassades, fut encore de celle-ci. Le 20 juin, il écrivait à Cecil : « La reine mère m’a dit que nous ne pourrions pas être expédiés avant samedi. La cause de ce retard est bonne. J’espère que quelque chose de bon sortira de notre mission. Je dois emporter un portrait du duc d’Anjou tel quel, si je puis l’avoir. » Janet, à qui Catherine l’avait demandé, ne l’avait pas terminé. Au lieu d’un, il en avait commencé deux. Dans l’un le visage était seul fini et très réussi, très ressemblant ; dans l’autre on ne pouvait avoir qu’une juste idée de la taille. Catherine n’étant ainsi qu’à demi satisfaite en commanda un troisième plus en grand, mais qui ne pouvait être achevé de sitôt. Cavalcanti emportait un autre portrait, celui de Marie de Clèves, pour Leicester. Le favori d’Elisabeth, n’ayant plus aucun espoir de l’épouser, avait jeté ses vues sur cette héritière ou sur quelque autre grande dame de France, et il comptait un peu sur l’appui de Catherine. C’est à cette occasion que Tavannes, avec le ton soldatesque qu’il affectait, dit cavalièrement au duc : « Lord Robert veut vous marier avec sa bonne amie ; mariez-le avec Châteauneuf qui est la vôtre. » Larchant et Cavalcanti n’arrivèrent à Londres que le 30 juin ; ils jouaient de malheur : la nuit précédente, Elisabeth, en se déshabillant, s’était donné une entorse. La douleur avait été si vive qu’elle était restée deux heures sans connaissance. Elle ne put donc les recevoir qu’au bout de huit jours.

Leur mission était très limitée ; ils n’avaient qu’à préparer les voies à une grande ambassade et à solliciter un sauf-conduit pour le maréchal, qui devait en être le chef. La première fois qu’ils en firent la demande, Elisabeth leur fit observer que, tant que la question de la religion ne serait pas vidée, ce serait inutile. Le choix d’un ambassadeur de si haut rang ne pourrait qu’aggraver les inconvéniens d’un refus, si l’on ne parvenait pas à se mettre d’accord. De nombreuses conférences eurent lieu entre nos deux envoyés et Cecil et Leicester, mais sans résultat. Loin de se prêter à la moindre concession, Elisabeth ne voulait même plus accorder au duc l’exercice secret de sa religion, qu’elle avait un instant offert. Pour sortir de ces interminables préliminaires, nos deux envoyés proposèrent de laisser de côté l’article de la religion. Elisabeth y accéda et se