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Les apports de blocs de toutes dimensions ne font jamais défaut aux glaciers dans les hautes vallées dont ils occupent le fond. Comme le remarque M. Geikie, la dénudation des pentes supérieures est complète, parfois étonnante, dans les régions montagneuses. Le sol incliné est souvent couvert de débris épars. Point de végétation pour retenir les eaux qui ravinent le sol ; les roches surplombent ; les alternatives de froid extrême et de chaleur passagère, le gel et le dégel en activité permanente, l’intensité des averses et les coups répétés de la foudre fendent de tous côtés les roches et détachent fréquemment d’énormes masses. Tous ces fragmens vont aboutir au glacier qui les retient et ne les rend plus jusqu’au moment où la glace les abandonne en leur assignant le plus souvent très loin de leur lieu d’origine une place désormais définitive. Ce que sont de nos jours les glaciers alpins, ceux des temps secondaires l’étaient avec une incomparable grandeur en plus : nous en jugerons bientôt. Dans les limites beaucoup plus modestes qu’ils comportent actuellement, les glaciers remplissent un rôle et des fonctions harmoniques dont M. Geikie a eu soin de faire ressortir l’utilité. Grâce au mécanisme qui les fait mouvoir, ils soutirent des hauts sommets les neiges qui sans eux s’y accumuleraient sans terme en masses inertes, accablant les montagnes de leur poids et enlevant à la circulation générale des eaux qui, grâce à eux, s’infiltrent dans le sol et vont alimenter les grands fleuves ou qui jaillissent en sources bienfaisantes au sein des vallées inférieures.

Si l’on veut apprécier les conséquences que peut entraîner le régime de l’extension indéfinie des glaciers, sous l’empire de circonstances favorables à leur formation, — et par cela même ce qui a dû se passer sur bien des points de l’Europe quaternaire, — on n’a qu’à se transporter dans le Groënland, sur cette terre si étendue qu’elle constitue à elle seule un petit continent entièrement envahi par les glaces. Le Groënland, dont la configuration physique rappelle beaucoup celle de la Norvège, présente comme celle-ci, le long de ses côtes, de nombreuses sinuosités, taillées hardiment en escarpemens qui s’avancent en laissant entre eux de profondes découpures par où la mer pénètre dans l’intérieur des terres: ce sont les fiords des Scandinaves. Ces fiords communiquent ordinairement avec des vallées qui servent de déversoirs à des cours d’eau alimentés par des ruisseaux qui descendent de toutes les pentes et parcourent en se ramifiant toutes les vallées secondaires, jusqu’à ce que l’on atteigne, en les remontant, la base des points culminans et des cimes neigeuses. C’est ainsi en effet qu’est la Norvège et que devrait être le Groënland; mais depuis un âge très lointain, qui pourtant ne remonte pas au-delà de la partie moyenne du tertiaire,