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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/411

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un de ses bons amis, une « lumière politique, » qui faisait grand cas de son mari et prédisait qu’il irait loin.

— Nous avons besoin de pareils hommes, ajouta-t-elle, nobles par le cœur comme par la naissance et disposés à délivrer le monde des menottes du préjugé. J’espère que vous encouragerez votre mari, chère madame, que vous le pousserez toujours en avant. La voix d’une femme peut obtenir tant de choses ! Nos responsabilités sont immenses et ce que nous saurons accomplir est sans bornes. Tenez, je suis fière pour ma part de lui avoir fait écrire ces vers sublimes sur l’Esclavage domestique. Il a promis de les réciter ; mais nous ne commencerons pas par là ; nous les réservons pour le bouquet.

Ce fut la demoiselle coiffée d’une étoile qui ouvrit la fête en récitant d’une voix suave et monotone la Reine de mai. Un Français expulsé de son pays pour raisons politiques poussa ensuite la condescendance jusqu’à chanter une chansonnette où figuraient, admirablement imités, les différens bruits d’une basse-cour. Puis vint un morceau de piano que la maîtresse de la maison elle-même ne jugea pas nécessaire d’écouter. Tout cela n’était que le prélude vraiment médiocre du grand succès de Wilfred Athelstone. Durant un intermède, divers personnages marquans, — on le lui assurait du moins, — furent présentés à lady Athelstone, qui trouva leur conversation bien différente de celle dont elle avait pris l’habitude chez Mme Goldwin, et infiniment moins agréable ; tout ce qu’on lui disait lui semblait d’un goût douteux ; on parlait haut, on entassait les complimens de façon à lui faire croire que l’on se moquait d’elle. Wilfred, lorsqu’il donnait la réplique à ces gens-là, n’était plus lui-même. Des dames d’une portée d’intelligence masculine lui demandèrent impérieusement de signer certaines pétitions, de prendre part à certains conseils, d’appuyer certaines mesures qui avaient pour but de réformer le monde. Leur jargon l’intimidait ; elle répondit tout bas qu’elle n’avait pas encore d’opinion bien arrêtée… Enfin, Mme Whiteside cria : Chut ! et Wilfred se leva pour déclamer sa pièce de l’Esclavage domestique. L’enthousiasme avec lequel un public idolâtre l’accueillit le décida naturellement à en réciter une autre.

— Quel rare privilège, répétait Mme Whiteside, d’entendre un grand poète dire lui-même ses vers !

Ceux que hasarda ensuite lord Athelstone étaient inédits ; ils blessèrent cruellement certaines susceptibilités de Nellie. C’était en effet une attaque véhémente, déchaînée, contre le joug clérical et toutes les croyances surannées qui bientôt allaient faire place à la liberté, à la saine raison. Le même sujet avait été traité cent fois en prose avec plus de talent, mais tel est le charme de la poésie qu’il fait passer des idées subversives qui seraient insupportables sous une autre