Malheureusement l’évêque se trompait et lord Athelstone n’aimait pas plus le coin de feu qu’il n’aimait le monde. Jamais il ne passait une soirée en tête-à-tête avec Nellie. La chambre des lords lui servait de prétexte, quand il n’avouait pas tout simplement une réunion d’hommes ; ce qu’il ne disait guère, c’est que presque toujours, avant de rentrer, il allait prendre une tasse de thé auprès de Mme de Waldeck, chez Mme Whiteside. Nellie déjeunait seule, car lord Athelstone consacrait ses matinées aux cliens politiques qui affluaient dans son antichambre. A dîner, il y avait toujours entre eux quelques amis ; ensuite il se rendait au club. C’en était fait de l’intimité d’autrefois et Nellie le sentait. Quoique ignorante du monde, elle n’était ni niaise, ni sottement crédule ; il était clair pour elle que les intérêts sérieux qu’il alléguait n’étaient pas les seules causes du changement de son mari ; elle souffrait donc et de plus en plus, mais avec quel soin elle cachait cette souffrance ! Hubert Saint-John était seul à la deviner. Les événemens l’avaient fait revenir sur la résolution qu’il croyait avoir prise avant de rentrer à Londres. Cesser de voir Nellie eût été désormais impossible ; elle avait besoin d’un véritable ami qui se tînt prêt à la secourir dans ses perplexités ; les visites constantes qu’il lui faisait et qu’il avait considérées d’avance comme un plaisir dangereux devenaient au contraire un devoir devant lequel il eût été lâche de reculer. Saint-John haïssait la coterie entre les griffes de laquelle Wilfred était tombé ; il raillait cruellement les utopies de Mme Whiteside et avait de Mme de Waldeck une opinion telle qu’il préférait ne pas l’exprimer. Une seule fois, Nellie lui ayant demandé s’il admirait cette femme intelligente :
— Pas du tout, répondit-il brièvement.
— Wilfred aurait voulu que je me liasse avec elle, reprit la jeune femme, mais une certaine répulsion qu’elle m’inspire a été plus forte que moi… Je n’ai pas pu.
— Et vous avez bien fait, ne put s’empêcher de répliquer Saint-John ; moins vous la verrez, mieux cela vaudra.
Puis, craignant d’en dire trop, il parla d’autre chose.
Quelquefois elle le questionnait sur miss Brabazon, qui ne quittait pas la campagne. Personne ne se doutait qu’au fond de sa retraite, Sylvia eût reçu, sans les chercher, des nouvelles très circonstanciées, assez alarmantes même, du jeune couple qu’elle avait contribué à unir. Lorenzo, ayant trouvé moyen de se procurer l’adresse de sa bienfaitrice, était allé la voir et s’était empressé, selon son habitude, de trahir pour elle les secrets de son maître. Le rusé garnement était persuadé que sa chère signora ne serait pas fâchée d’apprendre que milordo s’ennuyait à la maison ; la preuve, c’est qu’il n’était presque jamais auprès de sa femme. Heureusement, ajouta-t-il avec un sourire cynique, M. Saint-John