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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/458

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et prétendu, après la grande scène entre Œdipe et Tirésias, que le vrai titre de la pièce était les Deux Aveugles et que la musique n’était pas de M. Membrée, mais d’Offenbach ; aussitôt leurs voisins les avaient fait rougir de honte en leur apprenant que déjà Voltaire avait prévu cette plaisanterie : « Je sais bien, avait-il dit dans ses Remarques sur l’Œdipe de Corneille, qu’à la farce dite italienne, on représenterait Tirésias en habit de quinze-vingt, une tasse à la main, et que cela divertirait la populace, — la populace, vous entendez! — Mais ceux quibus est equus et pater et res, applaudiraient à une belle imitation de Sophocle. » Et tous d’applaudir et de se récrier d’admiration sur l’œuvre de Sophocle et sur eux-mêmes qui avaient le bon goût de l’applaudir.

Le lendemain matin, ces décrets du « tout Paris » furent notifiés à tout l’univers par la voie des journaux ; et en vérité, je vous le dis, le sang mua aux directeurs de nos scènes parisiennes. Sans doute une pièce de Sophocle n’était pas absolument une nouveauté ; mais est-il si nécessaire de donner des nouveautés? Les directeurs du Palais-Royal et des Variétés qui devaient rouvrir la saison par Divorçons et Niniche, s’avisaient que Niniche et même Divorçons n’étaient déjà plus si neufs, et s’enquirent si Sophocle n’avait pas fait une pièce gaie? M. Raymond Deslandes, qui devait reprendre au Vaudeville la série des fructueuses représentations du Voyage d’agrément, se dit qu’une reprise d’Electre serait peut-être plus fructueuse encore, Sophocle étant, sur le chapitre des droits, plus discret que MM. Gondinet et Bisson. Œdipe à Colone paraissait convenir au Châtelet ou à la Porte-Saint-Martin, la mise en scène du dernier acte y pourrait être splendide, et l’orage de la fin prêtait à de magnifiques « bruits dans les coulisses; » d’ailleurs les pièces n’étaient guère plus connues que Michel Strogoff ou la Biche an bois. Cluny, qui renonçait au drame, pourrait, au lieu des Braconniers, reprendre les Trachiniennes, avec musique nouvelle. A l’ancien Lyrique, M. Ballande, au lieu de Latude, pourrait jouer Philoctète, ou Dix Ans de captivité dans l’île de Lemnos; à moins que M. Chabrillat ne réclamât la pièce pour la monter à l’Ambigu suivant le goût « naturaliste. » Grâce à des appareils approuvés par M. Zola, on imiterait exactement l’insupportable odeur exhalée par la plaie du héros : ainsi peut-être on attirerait plus de monde qu’en reprenant les Mouchards. Même, à cette occasion, M. Chabrillat voulut compléter ses études mythologiques: il se fit donner par M. Busnach la très curieuse thèse de M. Constans, professeur au lycée de Montpellier, sur la Légende d’Œdipe, et il eut cette surprise d’y trouver que la mère d’Atys, un incestueux qui méritait d’être aussi connu qu’Œdipe, avait illustré déjà le glorieux nom de Nana.

Au Gymnase, M. Koning, qui promet beaucoup pour cet hiver et tiendra peut-être plus encore, eut un moment d’embarras: il comptait