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de Sophocle, sinon un mystère enflé de traditions aryennes, du moins une moralité inspirée de la sagesse hellénique : Œdipe alors ne serait plus qu’une froide personnification du crime involontaire. Ὁ μύθος δῆλοι ὅτι… on peut être parricide sans le savoir et incestueux malgré soi. Ceux-là encore furent transportés de cette bonne fortune qui leur faisait rencontrer un spectacle émouvant où ils n’espéraient qu’une composition édifiante.

C’est qu’en effet Œdipe roi est bien une œuvre dramatique et théâtrale, plus théâtrale même que ne se l’imaginent les spectateurs d’aujourd’hui, — et nous allons sur ce point nous expliquer tout à l’heure ; — mais quoi ! est-ce une raison pour faire d’Œdipe un mélodrame ? L’œuvre, dis-je, est théâtrale plus que vous ne pouvez le soupçonner. En effet, quoique la mise en scène soit aujourd’hui plus raisonnable qu’au temps de Voltaire et surtout de Corneille, quoique le traducteur et le directeur unissent leurs efforts pour nous donner un Œdipe un peu rapproché du grec, le spectacle qu’ils nous offrent peut-il prétendre à rappeler seulement la magnificence des spectacles anciens? « Je ne sais, disait Voltaire, si, aujourd’hui que la scène est libre et dégagée de tout ce qui la défigurait, on ne pourrait pas faire paraître Œdipe tout sanglant, comme il parut sur le théâtre d’Athènes. La disposition des lumières, Œdipe ne paraissant que dans l’enfoncement pour ne pas trop offenser les yeux, beaucoup de pathétique dans l’acteur, et peu de déclamation dans l’auteur, les cris de Jocaste et les douleurs de tous les Thébains, pourraient former un spectacle admirable. Les magnifiques tableaux dont Sophocle a orné son Œdipe feraient sans doute le même effet que les autres parties du poème firent dans Athènes. Mais, du temps de Corneille, nos jeux de paume étroits dans lesquels on représentait ses pièces, les vêtemens ridicules des acteurs, la décoration aussi mal entendue que ces vêtemens, excluaient la magnificence d’un spectacle véritable. » Et ailleurs, ce même Voltaire, parlant de son Œdipe à lui, raconte quelle peine il eut à obtenir seulement des comédiens « qu’ils voulussent exécuter les chœurs qui paraissent trois ou quatre fois dans la pièce. » Grâce à Dieu ! le temps est passé de ces embarras et de ces résistances ; la scène de la Comédie-Française est différente des jeux de paume où étouffait Corneille ; la décoration y est maintenant aussi bien entendue que les costumes ; M. Mounet-Sully tout sanglant a de nobles attitudes et beaucoup de pathétique ; Mlle Lerou pousse comme il faut les cris désespérés de Jocaste, et les comédiens consentent à exécuter les chœurs. Pourtant cette scène est loin d’égaler en grandeur la scène athénienne ; ce spectacle n’a pas la majesté qu’il avait dans sa nouveauté première ; et comment oublier, si l’on a consulté seulement M. Gevaert sur la musique des anciens, qu’Œdipe roi, même ainsi représenté, n’est rien de plus que la traduction du livret d’un opéra perdu ? Est-ce les airs de M. Membrée exécutés dans