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contre ses fils, furent inventés sans doute par les tragiques athéniens. Suivant la tradition populaire, Œdipe était mort dans sa ville de Thèbes ; seulement, dans ses dernières années, il ne sortait pas de son palais, où il cachait sa confusion, et s’il avait maudit ses fils, c’était pour des raisons frivoles : selon quelques-uns, parce qu’ils lui avaient envoyé pour son repas, au lieu d’un morceau d’épaule, un morceau de cuisse de bœuf, et parce qu’il avait pensé « qu’ils avaient voulu se moquer de sa cécité. » Les tragiques réduisirent ces matériaux populaires à l’étroite unité du drame ; ils enfermaient Œdipe entre un oracle plus rigoureux que celui de la légende et l’exact accomplissement de cet oracle : dans ce champ clos, il dut confesser, pour l’éternel apitoiement des peuples, ce que souffre l’âme d’un homme trop sagace et prospère quand l’orgueil de son bonheur et la fierté de sa science sont rabattus subitement par la force vigilante du destin. Cette confusion est, quoi qu’on dise, tout ce qui nous intéresse et nous émeut : nous regardons le héros plus que les barrières du champ, et nous suivons en cela le vœu du poète : il s’est occupé bien moins des conditions où son personnage est situé que du caractère de ce personnage et de la manière dont ces conditions le modifient.

Je résiste à la tentation de poursuivre cette étude parallèle d’Œdipe roi et de Macbeth. Cependant il s’y trouverait tel épisode qui ne manquerait pas d’agrément. On pourrait d’abord, pour surprendre et piquer au jeu quelques mythographes de fraîche date, soutenir qu’Œdipe et Macbeth ne sont au fond qu’un même personnage. M. Preller, en effet, prétend qu’Œdipe aveugle est une personnification de l’hiver; nous nous faisons fort de prouver, d’après de bons auteurs, que Macbeth vaincu par la forêt qui marche est une figure de l’Hiver, du malfaisant Hiver, que domine à la fin k frondaison du mois de mai. Sans trop s’attarder à ces tours de critique amusante, on ferait remarquer que, pour s’introduire et s’acclimater en France, Œdipe et Macbeth ont eu les mêmes résistances à lasser. Corneille pensait qu’Œdipe « ferait soulever la délicatesse de nos dames; » il en examinait les vices et concluait avec modestie : « J’ai tâché de remédier à ces désordres au moins mal que j’ai dû. » Avec la même sagesse, Ducis, quand il modifia Macbeth pour notre scène, essaya de « faire disparaître l’impression toujours révoltante de l’horreur, qui eût certainement fait tomber l’ouvrage, » et il « tâcha d’amener l’âme de son spectateur jusqu’aux derniers degrés de la terreur tragique en y mêlant avec art ce qui pourrait la faire supporter. » Ce même Voltaire qui fit un Œdipe et qui, le premier, découvrit Shakspeare à la France, ce même Voltaire écrit dans sa troisième lettre sur Œdipe : « Tout cela n’est guère une preuve de la perfection où l’on prétendait, il y a quelques années, que Sophocle avait poussé la tragédie ;.. » et un beau jour il traite Shakspeare de