Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/522

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

vinces et la création de la Confédération du Nord, avaient peine à jouer. Il semblait que la tâche qu’on avait entreprise eût dépassé le but et qu’on eût trop auguré de la force d’assimilation de la Prusse. On allait jusqu’à regretter et à considérer comme une faute l’annexion du Hanovre en face de l’hostilité violente et irréconciliable de ses populations. Tout était suspendu. La politique extérieure marchait à la dérive sans boussole ; les fils en étaient sinon rompus, du moins enchevêtrés. Les influences les plus diverses s’exerçaient autour du roi, les rivalités s’accentuaient. Déjà tout bas on commençait à se préoccuper du remplacement du premier ministre ; M. de Savigny et M. de Goltz se disputaient sa succession ; lorsque M. de Bismarck rentra brusquement en scène. Son apparition à la chambre fut un coup de théâtre ; elle fut aussi un triomphe. Pour lui, la roche Tarpéienne avait précédé le Capitole.

M. Benedetti avait repris possession de son poste le 15 novembre. Il avait retrouvé Berlin en liesse, savourant les joies de la conquête. « Je ne connais pas de plaisir plus grand pour un mortel, disait Frédéric II, que de joindre des domaines interrompus pour faire un tout de ses possessions. » On semblait avoir oublié, en apparence du moins, l’intervention française qui, à Nikolsbourg, avait marchandé à la Prusse le bénéfice de ses victoires, car le roi envoyait à notre ambassadeur, pour sa bienvenue, la plus haute de ses distinctions : le grand cordon de l’Aigle-Noir. M. Benedetti allait renouer ses relations avec le président du conseil dans des conditions toutes nouvelles. Sa tâche n’était pas enviable ; les rôles étaient intervertis, nous n’avions plus rien à offrir, mais tout à demander. Bien des événemens avaient surgi depuis les derniers entretiens du ministre prussien et de l’ambassadeur de France. L’Orient était troublé, et à Rome il s’était produit un incident qui ne pouvait nous laisser indifférens. On avait appris que M. Harry d’Arnim, qui a acquis depuis une si grande notoriété, avait offert au pape spontanément, au nom de son souverain, l’hospitalité en Allemagne. La politique prussienne, si effacée jusqu’alors à Rome, s’était affirmée subitement d’une manière imprévue et désobligeante pour notre influence. C’était le premier choc de deux politiques, désormais rivales, sur un terrain étranger à l’Allemagne, où jamais elles ne semblaient devoir se rencontrer. On pouvait se demander si le gouvernement prussien n’allait pas partout en Europe se poser l’égal de la France et contre-carrer son action.

Interpellé par M. Benedetti, M. de Thile répondit que M. d’Arnim n’avait reçu aucune instruction spéciale et que rien dans ses dépêches les plus récentes n’indiquait qu’il eût fait la démarche qu’on lui prêtait. M. de Thile se conformait à son rôle. Sa tâche, comme en 1870, était de tout ignorer et de tout nier. « Je suis l’esprit qui