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de la France. Tout indique, ses manifestations officielles aussi bien que le langage des journaux qu’il inspire, que son attention exclusive se reporte sur la Confédération du Nord et que, loin d’encourager les états du Midi, il leur recommande de s’armer de patience et de laisser au temps et à des conjonctures plus favorables, après s’être toutefois organisés militairement, le soin de terminer l’œuvre dont dépend le salut de l’Allemagne. On accepterait volontiers ces assurances tranquillisantes comme l’expression sincère de la pensée prussienne, sans le fait des armemens qui, loin d’être ralentis, semblent être poussés chaque jour avec plus de vigueur. Il est vrai que, sans nier ces armemens, ce qui serait difficile, on cherche à en atténuer la portée en leur prêtant un caractère purement défensif et en insistant sur la nécessité d’adopter un système uniforme pour tous les contingens formant la Confédération du Nord. Je ne voudrais pas amoindrir pour ma part la valeur de ces explications, mais il est impossible à l’observateur le plus modéré de n’être pas frappé de la précipitation avec laquelle s’exécutent des commandes hors de toutes proportions pour l’armée régulière d’un gouvernement fort de son désintéressement et d’un pays qui n’aurait d’autre pensée que celle de la défense[1]. »

M. Benedetti n’était pas indifférent au sort des Candiotes, mais la sollicitude qu’ils lui inspiraient n’allait pas jusqu’à lui faire oublier les pourparlers du mois d’août ; il lui tardait de savoir si les projets d’alliance qu’il avait concertés avec M. de Bismarck étaient arrivés à maturité. L’entretien eut lieu le 3 décembre. M. de Bismarck n’avait pas son entrain habituel ; il était visiblement contrarié de l’interrogatoire. Il protestait de ses dispositions personnelles à l’égard des deux conventions, celle du Luxembourg aussi bien que celle de la Belgique, mais il ignorait encore ce qu’en pensait le roi ; l’occasion lui avait manqué pour le préparer, il allait s’y appliquer. Toutefois, il ne cachait pas que le prince royal l’avait interpellé en lui disant : « On parle d’une alliance avec la France : contre qui est-elle dirigée ? Je ne sache pas que l’Autriche et la Russie soient en état de nous menacer. » Le ministre prétendait qu’il s’était borné à des réponses évasives, mais comment le prince avait pu être informé des négociations, alors que le roi était censé les ignorer encore, c’est ce qu’il n’expliquait pas. Quoi qu’il en fût, le secret qu’on s’était promis réciproquement avait été violé. Le fait était regrettable et symptomatique. L’ambassadeur tenait à savoir si le prince s’était montré hostile à l’alliance : « Il craint, répondit M. de Bismarck, qu’une alliance entre nos deux pays ne désoblige le gouvernement de sa belle-mère. »

  1. Dépêche de Francfort.