être mobilisée en douze jours et concentrée quelques jours après. On pourrait alors, au premier signal, jeter plus de deux cent mille hommes sur nos frontières. Ambitieuse et réfléchie, la Prusse a été la première à se rendre compte de la transformation qu’a subie de nos jours l’art de faire la guerre et à comprendre que désormais, avec les chemins de fer et les télégraphes, une campagne sera nécessairement courte ; que le succès dépendra de deux ou trois batailles décisives et que l’avantage restera à celui qui aura su le plus vite jeter sur un point donné les forces les plus considérables. Aussi son attention se reporte-t-elle tout entière sur les chemins de fer comme sur un des agens principaux de la stratégie moderne… On calcule que, sur les lignes allant de l’est à l’ouest, on pourrait expédier par jour douze trains militaires dans une direction et douze dans l’autre et que quatre-vingt-dix-huit trains suffiraient au transport d’un corps d’armée. La Prusse veut évidemment pouvoir, le cas échéant, nous gagner de vitesse ; elle espère compenser la supériorité qu’elle reconnaît au soldat français par la rapidité de ses mouvemens et par la force numérique. Elle se flatte qu’en arrêtant ses combinaisons à l’avance et non pas sous le coup des événemens, elle pourra s’assurer tous les avantages de l’offensive et porter la guerre sur notre territoire[1]. »
Du reste, les questions militaires étaient en ce moment à l’ordre du jour. L’Europe présentait l’aspect d’un arsenal. Tout le monde fondait des canons et fabriquait fiévreusement des fusils à aiguille. L’Angleterre ne résistait pas à l’entraînement général ; elle armait sur terre et sur mer, elle fortifiait ses côtes, elle mettait Malte et Gibraltar en état de défense. Les résultats foudroyans de la guerre de Bohême étaient un enseignement pour tous les gouvernemens, ils étaient une révélation pour la Prusse elle-même. Ses généraux, bien que pénétrés de la supériorité de leur armée, ne s’étaient pas doutés de la puissance irrésistible de son organisation et de son armement. Ils ne cachaient pas au baron Stoffel, notre attaché militaire, combien ils en étaient étonnés et émerveillés. Mais ce qu’ils ne lui disaient pas, c’est que déjà ils tiraient parti des expériences de la campagne pour perfectionner l’instrument qui leur avait valu la victoire et pour l’élever au niveau de plus ambitieux desseins.
La réorganisation de l’armée était le gros souci de l’empereur ; il s’apercevait tardivement que les combinaisons politiques les plus savantes ne pouvaient aboutir si elles n’étaient pas soutenues par une puissante organisation militaire. Il s’était endormi dans une sécurité décevante, sans tenir compte des expériences faites en Crimée et en Italie, et il s’était réveillé le 3 juillet au bruit du canon
- ↑ Dépêche de Francfort