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qui lui incombait personnellement de rassurer l’opinion publique sur les relations des deux pays. Il fit comprendre à M. de Goltz que le moment de s’expliquer était arrivé, que les pourparlers ouverts depuis plusieurs mois ne pouvaient rester plus longtemps en suspens, qu’il nous importait à tous les points de vue de savoir si le gouvernement prussien avait réellement l’intention de maintenir sa garnison dans la forteresse du Luxembourg et d’incorporer le pays à la Confédération du Nord. M. Rouher ajoutait qu’il était loin de la pensée du gouvernement français, en demandant des explications, de prendre vis-à-vis du gouvernement prussien une attitude qui portât à aucun degré le caractère d’une pression, et encore moins celui d’une menace, malgré le changement survenu dans l’attitude du premier ministre du roi Guillaume. « Mais il importe de savoir, disait le ministre d’état, si malgré les apparences, M. de Bismarck n’a pas renoncé à suivre, vis-à-vis de la France, la ligne de conduite qu’une haute inspiration politique lui avait suggérée d’abord. Si sa réponse n’est pas conforme à nos vues ni à des espérances qu’on n’eût pas dû provoquer, si l’on n’a ]>as la ferme intention de les réaliser, nous saurons du moins à quoi nous en tenir avant l’ouverture de la session. »

La question était ainsi officiellement posée, et il ne restait plus au ministre des affaires étrangères qu’à envoyer des instructions à notre ambassadeur pour le mettre en mesure de la résoudre : « Malgré notre résolution de nous renfermer dans une attitude tout à fait expectante, écrivait M. de Moustier à la date du 7 janvier, il ne nous est plus possible d’empêcher les choses d’avoir leur cours. Les chambres vont s’ouvrir, et notre langage, qui restera toujours calme, ne saurait toutefois avoir exactement la même nuance dans toutes les hypothèses. C’est ce que M. Rouher, avec l’autorisation de l’empereur, a essayé de faire comprendre dernièrement au comte de Goltz, en s’appuyant sur les exigences de notre politique intérieure et en se plaçant au point de vue personnel des obligations que lui imposent ses fonctions de ministre d’état. »

Lord Palmerston écrivait, en 1831, à lord Granville, son ambassadeur à Paris, lorsque M. de Talleyrand réclamait le Luxembourg : « Les gouvernemens, en France, ont une manie singulière ; ils s’imaginent, lorsqu’ils sont harcelés par leurs difficultés intérieures, que, pour les maintenir, on doit leur permettre de se prévaloir d’un succès au dehors, serait-ce au prix d’un acte injuste, malhonnête et contraire aux traités. » La revendication du Luxembourg, impliquant le consentement des populations, que le gouvernement de l’empereur adressait au cabinet de Berlin, en invoquant comme M. de Talleyrand ses difficultés intérieures, n’avait rien d’injuste