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du mariage : « Je vous marie ! — Peste ! lui dit le prince, et avec qui donc, je vous prie ? — Avec la princesse Marie de Hohenzollern ni plus ni moins. — La connaissez-vous ? — Non. — Eh bien, alors ? — Je suis renseigné, je vous la garantis charmante. » Le lendemain, le roi Léopold II sollicitait l’intervention de la reine Victoria auprès du roi Guillaume, et quelques semaines après, le mariage était résolu sans que M. de Bismarck se doutât, dit la légende, d’où était parti le coup qui l’atteignait inopinément dans ses négociations dilatoires avec la France. L’événement était grave, il pouvait nous ouvrir les yeux et faire tomber les dernières écailles. Aussi le ministre eut-il hâte de rassurer l’ambassadeur de France sur la portée du mariage. Il tenait à nous convaincre que ce mariage n’était pas son œuvre, qu’il avait au contraire appelé l’attention du prince de Hohenzollern sur l’instabilité de la monarchie belge. Il tenait surtout à nous bien convaincre qu’il ne s’agissait que d’une affaire de famille, qui ne constituerait ni un lien nouveau, ni une solidarité quelconque entre Bruxelles et la politique prussienne. C’était la théorie dont sa diplomatie devait se prévaloir d’une façon sanglante en 1870.

La tactique de M. de Bismarck s’accentuait de plus en plus. Elle consistait à intervertir les rôles. Il cherchait à se soustraire à ses engagemens et à nous constituer ses débiteurs. Au lieu de payer la traite que, dans des momens d’embarras, il nous avait fournie sur le Luxembourg, il nous offrait à titre de paiement un billet à longue échéance sur la Belgique, avec des clauses résolutoires et conditionnelles, et sans autre garantie qu’une neutralité équivoque. M. Benedetti avait beau le serrer de près, il lui glissait dans la main. À chaque instant, il soulevait de nouvelles difficultés et d’autres prétentions. Au lieu de se défendre, de justifier ses infractions journalières et flagrantes au traité de Prague et d’expliquer l’inexécution de ses engagemens dans le Schleswig, il prenait l’offensive et nous prêtait les arrière-pensées les plus ténébreuses. Il craignait que les concessions qui nous seraient faites, loin d’apaiser les esprits en France, ne les excitassent au contraire, et que le grand-duché ne lût une première étape pour arriver plus sûrement sur le Rhin. Il disait que la correspondance du comte de Goltz, que l’empereur et l’impératrice persistaient à considérer comme leur interprète le plus dévoué auprès de la cour de Prusse, n’était rien moins que satisfaisante, que le comte représentait le gouvernement de l’empereur comme traîné à la remorque d’une opinion publique irritée, jalouse et belliqueuse. Il allait, pour justifier son attitude, jusqu’à nous reprocher de méconnaître les avances si cordiales qu’il nous faisait en Orient. Il en concluait tout naturellement que nos dispositions