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On entendit un grognement de joie : Séraphin se reculait pour mieux juger du coup final. Alors, visage à visage, l’Anglais entremêla ceci au cliquetis plus vif de leurs armes :

— Il paraît, André, que tu t’entends assez bien au métier de bourreau. Est-ce vrai ? Tu as tué déjà, t’en souviens-tu ? C’était d’une autre façon, il est vrai. Eh bien ! écoute-moi, je veux mourir, et je veux que tu me tues, non en me défendant, mais comme tu le disais tout à l’heure : je veux que tu m’assassines. Tiens, achève ton œuvre, frappe.

En disant ces mots, sir R. Bruntson rompit de quelques pas, jeta son épée et découvrit sa poitrine, où l’épée d’André vint s’enfoncer jusqu’à la garde. En tombant, il entraîna André : ses mains s’étaient accrochées après lui.

— Regarde-moi, souffla le mourant ; regarde le fils de Marine !

— Marco ! cria André d’un accent d’horrible épouvante et fléchissant à demi tombé sur sa victime.

— Tu m’as tout pris, et j’avais juré de me venger… Tu as tué la mère, je t’ai fait assassiner le fils… Tu m’a pris Alice, je te l’ai arrachée !… Je peux mourir.

Il râlait ; ses doigts crispés retenaient André, qui se tordait pour lui échapper. Mais, près de lui, Séraphin accroupi, monstrueux, la face convulsionnée, suivait tous ses mouvemens, et quand il le vit prêt à se dégager, il lui appliqua sur la tempe le canon d’un revolver. Et il cria :

— Ah ! ah ! c’est à moi que la proie est laissée. C’est moi qui vais venger Marine…

André se débattait machinalement, sa chair avait des contractions d’effroi et d’horreur ; il se roulait pour échapper à l’étreinte de Marco et à l’œil plein de folie de Séraphin, qui s’acharnait à le viser au front. Marco ouvrit les yeux, lâcha André, se souleva sur ses poings, et d’une voix déjà éteinte il dit :

— Séraphin, laisse-le vivre ;… les morts sont heureux.

Sa face avait une expression de sérénité saisissante.

— Vous avez raison, répondit presque aussitôt le misérable bossu, comme frappé d’une idée subite.

Et il se fit sauter la cervelle.

Son corps roula aux pieds d’André, qui prit la fuite, les bras étendus.

— Tes amours coûtent cher,… lui jeta encore Marco, avec le sang qui l’étouffait. Trois cadavres, André !

Marco était mort.


George de Peyrebrune.