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s’offusquer de ce qu’elle se mêle, le plus souvent qu’elle peut, aux plaisirs du peuple, dont elle mène après tout la vie, avec cette différence que, pour elle, les privations sont plus grandes et les plaisirs plus rares. Voyons donc quels sont à Paris les divertissemens du peuple.

Pour combien l’habitude entre-t-elle dans le plaisir ou contribue-t-elle au contraire à l’émousser? Il y a des familles de paysans qui rêvent d’aller à Paris et qui économisent plusieurs années dans ce dessein. Pour eux, la nature est sans charme, les champs sans poésie. Ils rêvent des boulevards et des Champs-Elysées. Au contraire, le Parisien, j’entends le plus pauvre et le plus humble, rêve de la campagne. Du fond de sa ruelle obscure, sous le toit de sa mansarde enfumée, il soupire après le ciel bleu, les bois et la verdure. Cet instinct demeure chez lui si constant et si fort que ceux-là dont le métier consiste à tirer profit des besoins populaires cherchent à y donner satisfaction. On sait la place que tenait autrefois dans les œuvres de nos pères le mot de bosquet. Ce mot a disparu de notre littérature ; mais il a trouvé quelque part un refuge : c’est sur les enseignes des marchands de vins. Il n’y a gargotier possédant dans-son arrière-cour une tonnelle et un buisson qui n’inscrive aussitôt sur sa devanture ces mots pompeux : jardins et bosquets. Il existe dans le haut de Belleville, tout contre les fortifications, un grand restaurant qui est encombré le dimanche et où il n’y a pas une noce du quartier qui ne vienne passer la soirée du samedi. Ce restaurant doit sa popularité à une source, une vraie source, dont les eaux abondantes et fraîches servent à alimenter un petit bassin artificiel entouré d’assez beaux peupliers. Cette fausse nature fait la joie des habitués, qui naviguent toute l’après-midi en bateau sur cette cuvette, bonnement convaincus qu’ils se promènent sur un lac.

Mais ce sont là plaisirs de demi-bourgeois. Le peuple aime mieux la vraie campagne. Dès que le vent chaud d’avril soulève au soleil, dans les faubourgs, une poussière dorée et dès que les marchandes des quatre saisons commencent à pousser devant elles leurs petites charrettes remplies de gros bouquets de lilas dont l’odeur monte à la tête, c’est tous les dimanches un véritable exode de la population parisienne vers ces localités des environs de Paris dont Paul de Kock a été le Rousseau ou le Chateaubriand et dont plus d’une chanson populaire a conservé les noms : Les Lilas, Les Prés-Saint-Gervais, Romainville, Bagnolet, Montreuil, Le Raincy, Montfermeil. Les uns vont en chemin de fer et s’entassent par une chaleur étouffante dans des wagons de troisième classe : ce sont les riches; les autres vont à pied : ce sont les pauvres. Arrivés au lieu qu’ils ont choisi comme but de leur excursion, ils s’assoient sur l’herbe et