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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/734

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ils n’en professaient pas moins pour les Occidentaux le mépris instinctif dont aucun Turc ne saurait se débarrasser ; ils étaient naïvement convaincus qu’après avoir copié les formes constitutionnelles et libérales qui étaient la seule cause de leur supériorité, la Turquie n’aurait plus besoin d’eux et pourrait les braver impunément. C’est ce qu’ils ont essayé de faire. On a beaucoup discuté, on discute beaucoup encore pour savoir si Midhat-Pacha et ses amis étaient sincères en donnant à la Turquie des chambres, un ministère responsable, et tout l’attirail politique des peuples de l’Occident, ou s’il songeait uniquement à forger une machine de guerre contre l’Europe. Ce qu’il y a de certain, c’est que leur parlement n’a servi qu’à rejeter les exigences de la Russie et les demandes de toutes les puissances. Embusqué derrière une majorité que personne n’avait la naïveté de prendre au sérieux, Midhat-Pacha n’a pas hésité à repousser tous les conseils de la diplomatie européenne et à jeter la Turquie dans une guerre dont il devait être lui-même une des plus tristes victimes.

Ainsi, le premier point du programme de la Jeune Turquie était le dédain de l’Europe, la confiance absolue dans la Turquie, qui n’avait besoin de personne pour échapper au péril dont elle était menacée et pour reprendre en peu d’années son ancienne prospérité. Mais par quels moyens devait-elle donc poursuivre ces grands résultats ? C’est ici que le parti de la Jeune Turquie, ou plutôt que Midhat-Pacha et les quelques amis qui inspiraient sa politique, montraient une réelle sagacité et donnaient la preuve qu’il y avait en eux certaines qualités d’hommes d’état. Quand ils usaient de leur constitution pour tenir tête à l’Europe, il était permis de douter, ainsi que je viens de le dire, de la sincérité de leurs sentimens constitutionnels et libéraux ; mais quand ils s’en servaient pour séculariser le pouvoir en Turquie, pour séparer l’autorité politique de l’autorité religieuse, pour enlever au sultan le gouvernement temporel qui cessait d’être à leurs yeux une fonction du califat et qui devenait, comme partout ailleurs en Europe, une simple fonction publique, pour faire passer en un mot leur pays du régime théocratique au régime laïque et civil des nations modernes, non-seulement ils étaient parfaitement sincères, mais encore ils accomplissaient, comme on l’a dit avec raison, « le plus grand effort intellectuel qu’aient fait les musulmans de nos jours. » C’est ce qu’il ne faut pas oublier lorsqu’on juge l’œuvre de Midhat-Pacha. Comme elle a été subitement interrompue, elle n’a produit que la première de ses conséquences, — la résistance à l’Europe, — qui était assurément mauvaise-, mais si elle avait été continuée et si le but véritable pour lequel elle avait été entreprise, — la sécularisation du pouvoir politique en Turquie. — avait été atteint, il n’est pas impossible qu’elle