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qu’elles doivent fatalement produire. Lorsque la presse de Constantinople veut apprendre au public ottoman que le sultan s’est adressé à la France, à l’Angleterre ou à l’Allemagne pour obtenir d’elles quelque secours ou quelque service, elle a l’habitude, on le sait, de présenter cette démarche comme un acte de haute condesceddance d’un suzerain envers ses humbles vassaux. S’il fallait l’en croire, le sultan aurait daigné permettre à une ou à plusieurs des grandes nations européennes de venir à son aide, à moins qu’il n’ait préféré agir en maître et intimer des ordres auxquels personne n’oserait se soustraire. Ces fanfaronnades de journaux sont plus sincères qu’on ne pourrait le croire. L’orgueil musulman, ou plutôt l’orgueil turc, qui est en quelque sorte la quintessence de l’orgueil musulman, est capable de toutes les illusions. La Turquie est d’ailleurs tellement habituée à trouver des appuis en Europe ; en toutes circonstances, l’or et le sang européen lui ont si peu manqué ; elle s’est vue si souvent arrachée à la défaite par nos soldats, à la ruine par nos capitaux, à la dissolution par nos diplomates, qu’il lui semble que ce qui s’est toujours fait se fera toujours. C’est pourquoi Abdul-Hamid s’était d’abord confié sincèrement à l’Europe. Je viens d’expliquer les déceptions qu’il a éprouvées et qui ont peu à peu profondément transformé ses idées politiques. Se croyant trompé par les puissances dans lesquelles il avait placé son espoir, il en est arrivé à se demander, comme les hommes qui dirigeaient les affaires au moment où il est monté sur le trône, si la Turquie ne pourrait pas se suffire à elle-même, si tous ses malheurs ne viendraient pas de l’influence qu’elle a donnée chez elle aux étrangers, si elle ne serait pas punie pour s’être fiée à ces chrétiens dont l’alliance est toujours perfide et dont les services ne sont jamais désintéressés. Seulement cette question s’est posée tout autrement dans son esprit que dans celui de Midhat-Pacha. Abdul-Hamid n’est point un sceptique comme l’ont été un certain nombre de sultans. Sévère dans ses mœurs, d’une conduite simple et laborieuse, d’un esprit étroit, quoique fin, ayant reçu une éducation médiocre et une instruction plus médiocre encore, il pousse aisément ses convictions religieuses jusqu’au fanatisme. Rien ne prouve qu’il ne soit pas réellement convaincu que la colère d’Allah s’appesantit sur sa race et sur son peuple depuis que l’empire ottoman est entré dans le concert des puissances chrétiennes et s’est mis à pactiser ouvertement avec les infidèles. De grandes calamités publiques amènent à toutes les époques et dans tous les pays une recrudescence de foi. Les désastres de la Turquie ont été suivis d’un mouvement de réaction musulmane qui a pris peu à peu une importance considérable. Abdul-Hamid était peut-être