Mais, dans aucun de ces cas, l’intervention de la volonté et du cœur n’ajoute rien à la vérité en tant que vérité et ne peut en rien suppléer à ce qui lui manquerait à ce point de vue. J’entends bien et j’accorde qu’il ne faut pas seulement connaître, mais croire, si croire veut dire connaître avec amour ; j’admets qu’il faut aller à la vérité avec toute notre âme. Mais doit-on conclure de là que la volonté puisse dispenser la vérité du degré d’évidence qui est nécessaire pour être admise logiquement et rigoureusement? peut-elle constituer un supplément de preuves et conférer une certitude qui lui soit propre? C’est ce que nous n’admettons pas. Voyons en effet comment l’auteur établit que les vérités dont il s’agit doivent devenir des croyances.
Il prend pour point de départ et pour exemple de ce qu’il appelle « la foi morale, » la croyance au témoignage des hommes : « Vous me parlez, dit-il, de faits que je n’ai point vus, que je n’ai pu voir; votre témoignage me garantit la vérité que je suis incapable de constater moi-même. J’ai confiance en vous, je vous crois... Ma certitude s’appuie, non sur la nature de l’objet clairement connu, mais sur votre autorité... Admettre ce qu’un témoin révèle, c’est croire ; admettre une vérité évidente, c’est connaître. On connaît, on sait proprement quand on voit une chose ou en elle-même ou par quelque autre chose ayant avec elle une naturelle relation; on croit quand la chose affirmée demeure cachée et que, par conséquent, la raison de l’assentiment est d’une certaine manière extérieure à ce qu’on affirme. »
Nous ne pouvons admettre cette théorie du témoignage humain. Sans doute, on peut bien convenir d’appeler foi l’acte par lequel nous affirmons sur la parole d’autrui au lieu d’affirmer par nous-même ; mais ce n’est là qu’une question de mots, et, dans le fond, le témoignage se ramène à toutes les lois ordinaires de la connaissance et ne vient nullement d’un acte surérogatoire de la volonté. Si je crois à la parole des hommes, c’est en raison d’une induction parfaitement légitime et égale en autorité à toute induction scientifique. C’est que l’expérience m’a appris, soit chez moi-même, soit chez les autres, que l’homme ne trompe jamais quand il n’a pas d’intérêt à le faire, ou quand on a des raisons de supposer qu’il n’est pas trompé lui-même. Les règles du témoignage et de la critique scientifique sont des règles très précises, qui ne sont que des cas particuliers, des lois générales de l’induction. Je conclus des paroles du témoin aux faits attestés avec la même certitude et en vertu des mêmes principes qui me font conclure en général du signe à la chose signifiée, par exemple des vestiges fossiles laissés par les plantes, qu’il y a eu une flore à telle ou telle période géologique.