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capable que soi? Quoi de plus conforme aux règles d’une légitime induction que de se dire par exemple : Un homme plus âgé que moi a plus d’expérience; il doit savoir ce que je ne sais pas moi-même; ou encore : Un homme connaît mieux les affaires qu’une femme; je m’en fierai donc au jugement d’un homme. C’est de là que vient la pratique du mandat dans tous les genres. Je ne puis pas me soigner moi-même, ne sachant pas la médecine : je m’adresse au médecin. Ne sachant pas le droit, je m’adresse à l’avocat. Même s’il s’agit de morale, je puis croire qu’un sage, un saint homme, un prêtre qui fait son état d’étudier les consciences, en sait plus que moi, homme du monde, sur les délicatesses et surtout les sévérités de la morale. C’est donc une opération très légitime et conforme à toutes les lois de la logique de s’adresser en tout à plus savant que soi. Et ce qui prouve bien qu’il ne s’agit pas ici d’une certitude spéciale, fondée sur des principes différens de ceux qui fondent la certitude en général, c’est que, dans tous les cas cités, le conseiller que j’ai choisi peut se tromper et me tromper. J’en cours le risque; mais, comme le dit Descartes, il vaut mieux prendre un chemin qui vous conduira quelque part que de rester égaré au fond d’une forêt.

M. Ollé-Laprune parle de la puissance de la foi : « On dit qu’un homme a foi en lui-même. Cette confiance le rend capable d’une heureuse hardiesse... Qu’est-ce qu’avoir foi dans une idée? C’est la croire tellement vraie et efficace que, malgré toutes les apparences contraires, on n’admet pas qu’elle ne puisse finir par triompher. On espère quand tout semble fait pour décourager l’expérience. » Tout cela est vrai et chaleureusement exprimé; mais il ne s’agit pas de la puissance de la foi, il s’agit de la vérité. Or combien de fois de telles confiances, de telles espérances, n’ont-elles pas été démenties? Combien de fois les hommes n’ont-ils pas été trompés par la confiance en eux-mêmes et dans leurs idées ? Combien de fois des causes définitivement perdues n’ont-elles pas suscité des défenseurs et des croyans qui espéraient contre toute espérance? Le paganisme n’en a-t-il, pas eu de ce genre? Et aujourd’hui même, ne voyons-nous pas en Orient (et peut-être en Occident) des preuves de cet aveuglement stupide dont sont atteintes les causes perdues, qui pourraient se relever peut-être si quelque rayon de lumière et de raison venait éclairer et corriger la folie de la foi! Qui ne sait que la puissance de la foi est exactement la même, qu’il s’agisse du vrai ou du faux? Ne faut-il pas une grande puissance de foi pour qu’une femme jeune demande comme un bonheur et comme un droit de mourir sur le bûcher de son mari? Et cependant, cette foi, toute héroïque qu’elle est, donne-t-elle le moindre degré de vérité