Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 47.djvu/960

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

une influence aussi réelle que peu définie dans ces dernières années. Il a été mêlé d’une façon plus ou moins ostensible à certains èvénemens, il a inspiré certains actes, il a eu ses amitiés dans les cabinets qui ont vécu ou qui sont morts par lui ; mais il n’est ni enchaîné par ces amitiés, ni engagé par ces actes, ni responsable des événemens qui ont mal tourné. Il arrive avec ses idées, il a développé dans ses discours le programme qu’il entend appliquer ; il a surtout une vigueur d’action personnelle qui n’a pas eu l’occasion de se déployer, une autorité impatiente de se produire, et le gouvernement occulte du passé ne représente pas ce que sera le gouvernement de l’avenir. Eh bien ! soit encore. Que représente donc ce premier ministre de demain, appelé par M. le président de la république, appuyé par une majorité ralliée à sa voix ? que porte-t-il au pouvoir ? que serait-il et que fera-t-il ?

Il faut parler sans détour. M. Gambetta est évidemment aujourd’hui à l’heure décisive de sa carrière, à ce moment où un homme public donne par ses actions la mesure de ce qu’il vaut réellement et de ce qu’il peut. Il est certes favorisé par bien des circonstances ; il a en rnême temps contre lui deux choses. La première est cette position même qu’il s’est faite, cette importance irrégulière et prépondérante qu’il a su conquérir sans doute par une certaine habileté de procédés comme par la parole, et que la flatterie s’est aussi empressée de lui créer. La vérité est que M. Gambetta reste provisoirement un personnage assez embarrassant dans le jeu des ressorts parlementaires, si bien qu’on ep est encore aujourd’hui à débattre s’il doit être un ministre comme un autre, un chef de cabinet comme un autre, ou s’il sera un président du conseil d’un ordre particulier, continuant la prépotence qu’il a eue hors du pouvoir, représentant une sorte de vice-président de la république. Remarquez que s’il a la réalité de l’influence, il en a aussi l’ostentation souvent blessante et irritante. C’est là justement le danger pour lui, parce qu’il se trouve dans des conditions où il a trop promis pour ne pas causer des déceptions de plus d’un genre et où il a un rôle trop dominant, trop aventureux pour ne pas rencontrer un jour ou l’autre des résistances qui peuvent l’arrêter net sur le chemin où il est engagé. C’est le danger qui tient à sa position personnelle, à un ascendant exorbitant.

Une autre difficulté, c’est le choix d’un système, c’est le programme qu’il s’agit de réaliser. Quelle est exactement la politique que M. Gambetta se propose de suivre ? Le programme est connu, il a été exposé à Tours, à Belleville, au Neubourg, avec tous les détails et toutes les variantes possibles ; oui, il est connu, c’est bientôt dit. Le fait est que M. Gambetta a deux chemins ouverts devant lui. S’il entre aux affaires avec l’intention d’en finir honorablement avec des entreprises mal engagées, d’assurer à la France la paix dont elle a besoin,