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saisis, devant la porte de la cathédrale. Luther y sera brûlé en effigie. La cérémonie se passa au milieu d’un grand concours de peuple. A la vue de ses livres qui flambaient, Fabricius ne put contenir son indignation. Appréhendé au collet par les Polonais, il fut délivré par ses élèves dans une échauffourée où George Kœnig se trouvait au premier rang. Celui-ci, ayant blessé grièvement un de ses adversaires, va être jugé, et la race des Koenig est menacée de s’éteindre. Si invincible est l’orgueil allemand du vieux Marcus Kœnig. qu’il refuse de demander à genoux au roi Sigismond de Pologne la grâce de son unique fils. Il a recours à l’intercession de la benoîte Vierge, « reine de Prusse, » à saint Jean et à saint Jacques de Compostelle. Avec l’aide d’un serviteur dévoué, George cependant parvint à s’évader. Caché à bord d’un bateau qui descendait la Vistule, il y retrouva le magister et sa fille, ce qui le consola de sa mésaventure.

Nos fugitifs n’étaient pas au bout de leurs peines. Le navire aborda dans un petit port occupé par un parti de lansquenets, qui s’en emparèrent et se partagèrent le butin et les prisonniers. Séparée de son père, Anna Fabricius fut conduite avec George Kœnig au quartier-général. Afin de sauver sa propre vie et l’honneur de sa compagne, notre héros est obligé de s’enrôler parmi ces aventuriers à moitié brigands, et d’épouser la chaste jeune fille devant le drapeau de la compagnie, au son du tambour, formalité de mariage élémentaire seule reconnue par les gens de cette sorte. — Il faut prévoir ici la lutte de l’amour et du devoir, les scrupules de la jeune captive, qui en l’absence de son père et de toute cérémonie religieuse, ne saurait se considérer comme sérieusement mariée même avec celui qu’elle aime, malgré les encouragemens du tambour.

Mais George Kœnig avait pris son rôle fort au sérieux. « Il entraîna dans la tour qui lui était assignée comme demeure la nouvelle épousée défaillante, et lorsqu’il baisa son pâle visage, elle recula effrayée devant le feu de son regard ; se laissant tomber à ses pieds et joignant les mains, elle s’écria : « C’est pour moi que vous avez fui votre patrie, c’est pour moi que vous êtes précipité dans la misère et l’infortune, c’est pour me sauver que vous vous êtes associé à ces hommes affreux : je vous appartiens, le sort m’a livrée à vous, corps et âme, vous pouvez faire de moi ce qu’il vous plaira. »

« Il s’arrêta, saisi, voyant l’angoisse de son regard, et lui relevant la tête avec douceur : « Anna, dit-il, j’espérais vous être cher. » — Elle répondit d’une voix éteinte. : « Si vous ne voulez pas que je meure, épargnez-moi. »

« Alors il détourna la tête pour cacher la douleur que lui causait ce refus. Mais il ne put se contenir, la tempête intérieure qui l’agitait ! souleva sa poitrine, et il poussa un long gémissement. Anna