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Vastes théâtres ; les personnages ne sont que des ambitieux pervers. » Or c’est à cette foule des hommes innocens et paisibles que M. Freytag attribue tout l’honneur des grandes entreprises et des vastes réformes, en un mot, le salut des états. C’est à eux, ouvriers du relèvement de la Prusse, défenseurs héroïques de l’indépendance, vrais fondateurs de l’unité nationale, qu’il adresse cette éloquente apostrophe : « Réjouissez-vous et dansez, maître Beblow, et vous aussi, cultivateur Krause, car c’est vous et cent mille de vos semblables qui avez battu l’ennemi dévastateur et qui avez relevé la patrie de son abaissement. — Sa meilleure force, la nation, dans ses heures de défaite et de relèvement, l’a trouvée près de vous, petites gens, et non près de ceux qui vous gouvernaient et qui ne se sont montrés ni assez forts ni assez fiers ; ceux qui l’ont sauvée, ce ne sont pas non plus les nobles et les raffinés d’esprit, sceptiques ou flottans dans leurs idées et qui, la paix faite, ne savent plus où commence ni où finit la patrie. C’est parmi vous, hommes obscurs et sans gloire, qu’à ce moment-là s’était réfugiée la meilleure force du peuple ; c’est votre patriotisme naïf, ce sont les bras de vos fils que vous envoyiez sur les champs de bataille, c’est votre travail de chaque jour à l’atelier et dans la ferme, dont vous avez sacrifié la meilleure part à l’état, gardant pour vous à peine le nécessaire, voilà ce qui, avant tout, a sauvé notre patrie. Et quand les générations de l’avenir étudieront l’histoire de ce temps, elles sauront que tout ce qu’il y a eu de sain et de grand s’est trouvé surtout en abondance dans les étroites maisons des petites villes et dans les chaumières des villages où vous avez vécu. »


IV

S’il est vrai que le dernier récit de cette longue série des Ancêtres soit une autobiographie où l’auteur se serait peint lui-même sous les traits du dernier des Kœnig, fils de médecin comme lui, journaliste et critique comme lui, né comme lui en Silésie, en 1816, toute cette vaste épopée pourrait être très justement intitulée Mes Ancêtres. M. Freytag nous aurait ainsi fourni en six volumes les divers élémens et ingrédiens qui, filtrés à travers les âges, ont abouti à l’éclosion d’un esprit d’élite, penseur subtil, et romancier favori de l’Allemagne.

« La paix dure depuis dix ans ; la jeune génération, qui joue en ce moment sur la place aux billes ou à la morue, est née depuis la guerre de délivrance, et lorsque les parens réunis sur le marché racontent leurs aventures de guerre, cela semble aux enfans un récit tout aussi fantastique que la légende du Petit Poucet, qui se glissait sous les jambes de l’ogre… Pour les pères aussi, cette époque