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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/158

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par la plume et par la parole, des droits politiques. Après l’âge de fer, l’âge du papier et de l’imprimerie ; après la civilisation religieuse, la civilisation scientifique et industrielle ; après les croisades, la réforme et le rationalisme : tel est le dernier mot du progrès et le dénoûment de ce roman de l’évolution.

Il est à remarquer que M. Freytag ne fait aucune allusion à la guerre de 1870 dans son dernier récit, soit que les événemens lui parussent trop récens et trop présens pour se prêter à la fiction, soit que, tout en partageant l’orgueil et l’enthousiasme de l’armée victorieuse, il ne lui plaise pas de considérer le militarisme exclusif comme le dernier terme auquel doivent aboutir les souffrances et les efforts de tant de générations, et de voir dans le casque à pointe le couronnement de l’édifice impérial. La thèse qui ressort de cet ouvrage est au contraire que l’unité allemande conquise par les armes, protégée par les armes doit se maintenir et se fortifier par la libre discussion des gouvernemens modernes.

Le fond même et l’inspiration de l’œuvre de M. Freytag, c’est l’idée de patrie, en dehors et au-dessus de l’esprit de parti. Le patriotisme moderne des Allemands a cela de particulier qu’il est essentiellement factice, qu’il n’est pas inné, qu’il a besoin d’être appris, expliqué, réchauffé. Un Allemand le distingue et le définit comme il suit : « Ce nouveau patriotisme n’avait pas la simplicité du patriotisme français ou grec, qui considère toutes les autres nations comme des barbares ; ni l’humble et sentimentale tendresse du patriotisme italien, attaché à la patrie rachetée, comme une mère à son enfant sauvé de la mort, mais encore délicat et souffreteux. Il n’avait pas la robuste vigueur du patriotisme des anciens Romains et des vieux Anglais, qui ignorait simplement l’existence légale de ceux qui n’étaient ni citoyens romains, ni sujets anglais. Le nouveau patriotisme allemand, qu’il ne faut pas confondre avec le vieux patriotisme prussien, n’était pas et n’est pas naïf. Il est conscient, il est voulu ; il a une teinte de pédantisme, parce qu’il est l’œuvre de savans et de littérateurs. Il est né d’un sentiment du manque de patriotisme qui régnait auparavant et contre lequel il était nécessaire de réagir[1]. » On ne saurait mieux expliquer pourquoi on est si préoccupé en Allemagne d’enseigner le patriotisme, non-seulement à l’école, en même temps que l’alphabet et la Bible, mais encore au moyen des œuvres d’imagination. La mise en scène romanesque, l’appareil historique, les scènes d’amour les plus délectables servent d’amorce et d’ornement au but le plus sérieux et le plus méthodique.

Ce point de vue, exclusivement national et patriotique, explique à la fois le succès des Ancêtres en Allemagne et le peu d’intérêt

  1. L. Hillebrand, Lectures on german Thought ; London, 1880, p., 287.