Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/161

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

leur œuvre. Il n’en est que plus piquant d’analyser leurs efforts, de définir leur rôle, de toucher du doigt des illusions, si honorables pour eux, si funestes au pouvoir dont ils étaient investis.

Comme s’ils avaient tenu à justifier ces marques de confiance, les champions des idées nouvelles, ou plutôt les champions des idées anciennes, si heureusement rajeunies, se sont, de leur côté, de plus en plus renfermés dans le domaine de l’abstraction. À l’origine, il leur était parfois arrivé de laisser un libre cours à leur humeur belliqueuse ; le Pogge et Philelphe avaient attaqué avec vivacité les ordres mendians, en protestant d’ailleurs de leur respect pour les dogmes ; un autre humaniste célèbre, Laurent Valla, avait même poussé l’audace jusqu’à nier l’authenticité de la donation de Constantin, exploit qui ne l’empêcha pas de devenir secrétaire apostolique. Mais les mœurs avaient bien changé depuis lors. Amis du repos et du bien-être, absorbés par l’étude du monde antique, les humanistes renoncèrent bien vite à affaiblir l’autorité de l’église. Quelque opinion paradoxale leur avait-elle échappé, ils s’empressaient de se rétracter ; il n’y avait point de gent plus accommodante. Vers la fin du XVe siècle, on vit même l’un des plus éminens travailler de toutes ses forces à la réconciliation de la philosophie platonicienne avec les enseignemens du christianisme. N’importe ! il était difficile de calculer la portée de la révolution dont ils s’étaient faits les promoteurs, et le moment devait venir où ils n’auraient plus la force de conjurer les esprits qu’ils avaient déchaînés.

Avant tout hommes de leur temps, en parfaite communauté de croyances et d’aspirations avec leurs contemporains, les papes, — je parle de ceux de la première renaissance, — cédèrent sans scrupule à l’entraînement général. Dans l’Italie du XVe siècle, le culte des choses de l’esprit n’était pas seulement un besoin intime, c’était encore un moyen de domination. Les Médicis l’avaient bien compris quand ils résolurent de fonder sur les lettres et les arts la grandeur politique de leur maison. Venise et d’autres villes encore comptaient des citoyens aussi riches qu’eux ; mais faute d’avoir groupé autour d’eux les forces vives de leur nation et légitimé leur richesse par la distinction de leur goût, ces obscurs millionnaires n’ont pas réussi à émerger de la foule. D’autre part, que de crimes n’a-t-on pas pardonnés à des tyrans exécrables, pour peu qu’ils eussent encouragé quelque savant illustre et laissé derrière eux quelque monument somptueux ! Ce siècle avait l’esprit tourné aux grandes choses. La vue de la civilisation antique qui, après une éclipse dix fois séculaire, brillait de nouveau d’un si vif éclat, contribua singulièrement à dilater les cœurs, à enflammer les imaginations. Vivre ainsi à travers les âges, transmettre son nom aux générations les plus reculées, soit par les vers du poète, soit par le ciseau du statuaire, quelle tentation pour