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serait tenté de le croire. Peu importait l’ignorance, la barbarie de l’élément romain proprement dit, aristocratie militaire, bourgeoisie, bas cierge ; la cour, au plutôt à curie, société artificielle recrutée dans toutes les parties de l’Europe, faisait la loi et formait comme un état dans l’état. Nulle part érudits ou littérateurs ne trouvaient un emploi plus brillant, on peut presque dire plus normal, de leur savoir ou de leur talent. Leur fortune n’y dépendait pas du caprice d’un prince plus ou moins ami des lettres : ils entraient comme rouages essentiels dans une organisation qui dominait le monde. Se distinguaient-ils par la vivacité ou l’élégance de leur plume, ils avaient leur place marquée parmi les secrétaires apostoliques, dans cette phalange qui compta à l’époque de la renaissance tant de libres esprits : Coluccio Salutato, le Pogge, Léonard Bruni, Antoine Loschi, Flavio Biondo, Maffeo Vegio, Jean Aurispa, Giannozzo Manetti, Pietro Candido Decembrio, Æneas Sylvius Piccolomini, Laurent Valla, George de Trébizonde, Léonard Dati, Mathieu Palmieri, Bembo, Sadolet. Brillaient-ils par leur éloquence, ils étaient tour à tour appelés à remplir les fonctions d’ambassadeur ou à prendre part aux joutes oratoires, qui, grâce aux exigences du cérémonial pontifical, se renouvelaient presque chaque semaine. L’éloquence, c’était bien le genre de mérite que les humanistes se flattaient de posséder au suprême degré, celui que leurs contemporains admiraient chez eux avec le plus de docilité. Ces virtuoses de la parole s’essayaient sans embarras dans les matières les plus diverses : discours de bienvenue, sermons, oraisons funèbres. Enterrait-on un prélat, c’était à eux qu’incombait la tâche, rémunérée en belles espèces sonnantes, de louer le défunt du haut de la chaire ; c’étaient eux encore qui, aux grandes fêtes, pour peu qu’ils eussent un semblant de tonsure, prêchaient dans la chapelle du pape. Se sentaient-ils au contraire de la vocation pour une existence plus contemplative, l’université romaine, la bibliothèque du Vatican, sans parler des innombrables bénéfices qui étaient à la nomination du pape, leur offraient un asile assuré ; ils y trouvaient l’otium cum dignitate, que l’étude des anciens leur avait rendu si cher. Il serait difficile de décider qui a le plus gagné à cet échange de bons offices, les protecteurs ou les protégés. Était-ce donc si peu, pour les chefs de l’église, que d’avoir à leur disposition des hommes également prêts à rédiger une consultation politique, à prendre quelque puissant souverain dans les filets de leur éloquence, à appeler la chrétienté à la croisade, à lancer une invective contre un antipape ?

Au moment de l’avènement de Sixte IV, tout semblait favoriser l’ambition du nouveau pape, brûlant de ravir à Florence la primauté littéraire dont elle se montrait si fière. Grâce aux efforts de ses