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Au dehors, rien n’annonçait aux arrivans les splendeurs de l’intérieur ; c’était toujours la même façade noire se découpant en silhouette, avec la seule addition dans le haut de deux cordons allumés au gaz, deux lignes minces et maigres d’une lumière insuffisante et terne, derniers et inutiles efforts d’un système d’éclairage qui a cessé de tenir le premier rang. Il faut regretter qu’on n’ait point songé à lancer, sur la façade de M. Garnier un peu de lumière électrique ; elle en aurait montré la belle ordonnance, elle en aurait fait dans la nuit un point de vue brillant et répandu sur le sol d’alentour une suffisante clarté ! c’est la même obscurité dans le vestibule ; mais à peine en a-t-on franchi les limites et pénétré dans la salle du grand escalier que l’impression change et que l’on se sent tout à coup plongé dans une atmosphère si éclatante qu’il faut y habituer l’œil comme si l’on pénétrait dans un espace éclairé par le soleil.

Cette première impression passée, il convient d’examiner, d’observer, de se recueillir, afin de mieux apprécier l’effet. L’ancien éclairage au gaz est allumé comme de coutume ; on y a seulement ajouté trente-huit lampes du système Brush. Elles sont assez mal distribuées, très grossièrement installées, sans aucune prétention à l’élégance, sans aucun souci de l’ornementation, ce qui ne laisse pas que de jurer un peu dans un lieu si précieusement étudié et si luxueusement fréquenté. Mais il faut se rappeler que c’est un simple essai, laisser à cet intrus le soin de se civiliser, donner à ce paysan du Danube le temps d’apprendre les belles manières, et ne porter notre attention que sur la lumière elle-même, qui seule est en cause, et sur l’effet qu’elle produit. Il faut avouer qu’elle est incomparable et qu’il est bien inattendu.

En France plus encore qu’ailleurs, nous avons le culte de l’habitude, l’horreur du changement, et la résistance au progrès. Nous commençons par critiquer quand il faudrait encourager. Il n’est point de reproches qu’on n’ait adressés à la lumière électrique. Le plus grave est que sa teinte est blafarde et pour ainsi dire lugubre. Or l’éclairage de cette salle montre combien cette assertion est peu fondée : les marbres de l’escalier, les albâtres des balcons, les bronzes et les dorures, nous paraissent avoir l’éclat et la couleur qu’ils prennent au soleil et, ce qui nous intéresse encore davantage, le ton des visages prend une coloration chaude et une vivacité d’éclat qu’aucun autre éclairage n’a jamais données. A la vérité, si la beauté naturelle est rehaussée, les artifices de réparation de « l’irréparable outrage des ans » sont dévoilés avec une indiscrétion terrible. On ne doit pas trop s’en plaindre. Il faut accorder aussi que toutes les toilettes ne s’accommodent pas également de l’électricité,