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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/21

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être plus tard maréchal de France et duc de Malakof. À ce moment, l’Algérie était en émotion et se préparait à recevoir les colons que la France lui expédiait. Les généraux qui avaient acquis leur renommée en guerroyant contre les Arabes, Lamoricière, Changarnier, Bedeau, Cavaignac, ceux en un mot que l’on avait surnommés les Africains, exerçaient une haute influence sur le gouvernement de la république, et leurs efforts se tournaient vers cette terre qu’ils aimaient et qu’ils avaient conquise. D’autre part, la révolution de février, l’insurrection de juin, avaient produit dans les affaires industrielles et financières une perturbation excessive ; le travail chômait et les ouvriers souffraient. On imagina de profiter de cette occurrence pour peupler l’Algérie et soulager les corps de métiers de Paris du trop plein qui les encombrait : on promit des concessions de terres, on parla de la fertilité du sol, de la beauté du climat ; les malheureux regardèrent du côté des plaines algériennes, comme nos pères avaient regardé du côté « des Iles, » — l’île du Mississipi, disait Buvat ; — ils se figurèrent que les alouettes rôties y tombaient des nuages, et une quinzaine de milliers d’individus demandèrent à partir. Par les canaux et par le Rhône, ils gagnèrent les ports de Marseille et de Toulon, où ils s’embarquèrent. Ils furent distribués sur les côtes entre les frontières du Maroc et celles de la Tunisie. Pendant que j’étais à Oran, il en arriva une escouade de douze ou quinze cents. Le courage ne leur manquait pas, mais leur ébahissement était extrême. — Les fines ouvrières parisiennes, trottant menu et en costume propret, s’en allaient par les rues, se sauvant de peur à la vue des chameaux et éclatant de rire en regardant les Arabes, que l’ample burnous et les plis du haïck font ressembler à de vieilles femmes. Les hommes étaient tristes, graves, manifestement déçus. Qu’allaient-ils faire dans ce pays non défriché où la toute-puissance appartient au soldat, où l’administration ne s’étudiait pas assez à diminuer les difficultés dont l’établissement des colons était entouré ? C’étaient pour la plupart des ouvriers d’art, ébénistes, graveurs, peintres de voiture, tapissiers, sertisseurs, qui jamais n’avaient mis la main au hoyau et ne savaient pas comment on fait fructifier la terre. On choisit pour eux, entre Arzew et Oran, un emplacement magnifique, le ravin de Gudiehl, au pied de la montagne des Lions, qui les abritait du vent de mer. Le paysage était admirable, l’herbe grasse et il y avait une source. Si je ne me trompe, le village que l’on allait improviser devait s’appeler Saint-Cloud ; les pauvres Parisiens recherchaient les noms qui, pour eux, étaient des souvenirs. Le général Pélissier, lourd, grognon, adoucissant autant que possible sa brusquerie naturelle, était venu les installer lui-même. Les pauvres gens étaient consternés : des planches pour construire la baraque, un paquet de sulfate de quinine