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entraînante que celle-là. Communiquer directement avec les hommes du passé sans l’intermédiaire obligé d’un historien officiel, les surprendre chez eux, au naturel et au dépourvu, — non pas tels qu’ils se sont posés eux-mêmes pour la postérité dans des mémoires faits après coup, — mais tels qu’ils se révèlent dans des écrits qu’ils ne croyaient pas destinés aux regards du public, quel enseignement et aussi quel amusement inattendus !

Dès qu’on a goûté une fois des correspondances, on ne croit plus, on ne se fie plus qu’à cela en fait de témoignage historique. Tout autre paraît artificiel et suspect ; mais, en revanche, pourvu qu’il soit original et authentique, le moindre billet a son prix. Si le correspondant est un personnage inconnu, il y a un véritable intérêt à apprendre de lui ce que pensaient des événemens que nous apercevons dans le lointain ceux qui les ont vus se dérouler devant eux, ceux qui les touchaient pour ainsi dire du doigt, et ce commun des hommes qui fait à chaque moment l’opinion publique. Si les détails racontés sont eux-mêmes insignifians, il est rare qu’ils ne mettent pas au moins sur la voie de quelque trait de mœurs qui fait assister au train journalier de la vie de nos pères. Mais si vous avez le bonheur de tomber sur les autographes d’un homme célèbre, c’est alors que le papier lui-même semble s’animer sous vos yeux. Le caractère de l’écriture vous révèle celui de l’écrivain et vous permet même de suivre les accidens de son humeur : si les traits de sa plume s’altèrent ou se précipitent, vous croyez voir sa main qui tremble d’émotion ou frémit de colère : une rature, sous laquelle s’aperçoit encore une phrase mal effacée, donne le secret d’une pensée cachée ou d’un sentiment contenu. Une indication reste-t-elle imparfaite ou obscure, avec quel empressement on s’efforce de la compléter et de l’éclairer et quel triomphe d’y parvenir ! Avec quelle rapidité les heures s’écoulent dans cette poursuite ! Le plaisir de la chasse, pour un amateur passionné, n’est rien, j’en suis sûr, auprès de celui-là : ceux qui ne le connaissent pas ignorent une des plus vives jouissances de l’ordre intellectuel.

Puis, après la recherche terminée, vient ce que j’appellerai la contre-épreuve, c’est-à-dire une opération qui consiste à vérifier ce que les renseignemens tirés de sources nouvelles ajoutent, retranchent ou modifient à l’opinion accréditée sur des faits déjà connus. D’ordinaire, il faut bien le dire, cette comparaison cause quelque déception et fait rabattre un peu de l’orgueil de la découverte. On s’aperçoit le plus souvent que les plus précieuses acquisitions changent peu de chose à la face générale des événemens, que les impressions des contemporains, habituellement justes, se sont transmises à la postérité sans trop se dénaturer et, que, si la vérité a été quelquefois obscurcie de nuages, le temps seul a suffi à l’en dégager.