les épithètes ne nous coûtaient guère. On a imprimé quelques-unes de ces fadaises dans le recueil de mes œuvres. »
Mais Voltaire se vante : rien dans sa volumineuse correspondance n’indique qu’il ait, dès lors, trouvé si lourd le fardeau de ses relations avec un futur souverain, ni qu’il ait été si peu sensible à l’échange de douceurs et de complimens qui en était la suite. Bien loin de traiter de fadaises les factums de poésie et de morale qui lui étaient expédiés sous le cachet du prince, quand il ne les admirait pas sans restriction, il les corrigeait sans sourire. Il ne fit pas même d’exception pour une réfutation, devenue fameuse, des doctrines de Machiavel, qu’il se chargea de faire imprimer, et où cependant un lecteur moins prévenu aurait reconnu sans peine un simple exercice de collège dépourvu de tout accent de conviction personnelle. Tout porte donc à croire que, de la meilleure foi du monde, Voltaire pensait qu’un prince qui le traitait d’homme divin devait être l’espérance du genre humain.
Mais ceux qui, recevant moins de bonnes paroles, conservaient plus de sang-froid, éprouvaient aussi moins de sécurité ; certains indices leur faisaient reconnaître, sous l’apprenti poète ou métaphysicien, un disciple moins désintéressé de la morale et de la vérité pures. Ils remarquaient, non sans alarmes, un ton de conversation généralement sarcastique et sceptique sur tous les sujets, un jugement dénigrant et dédaigneux sur toutes les personnes, et parfois une dureté d’accent et de regard qui évoquait le souvenir sinistre de la ressemblance paternelle. Chacun sentait, en un mot, que le jour où ce prince, si peu fait sur le modèle commun, prendrait le pouvoir en main, serait un jour de surprise ; mais personne ne pouvait dire qui serait déçu ou de la philosophie qui espérait en lui, ou de la politique qui s’en défiait.
Naturellement c’était dans les cours étrangères et dans les chancelleries que la question était faite le plus souvent, et qu’on mettait le plus de curiosité à en deviner la réponse. Dans la complication d’intérêts qui s’agitaient en Europe, avec les luttes d’influences dont tout le monde gardait le souvenir et prévoyait le retour, il n’était indifférent à personne de savoir de quel côté se rangerait, un jour de conflit, un jeune souverain qui trouverait sous sa main, dès le premier jour, soixante-dix-mille hommes et un nombre considérable de millions. Aussi était-ce, parmi les ministres étrangers, à qui tâcherait de pénétrer dans sa retraite, chacun muni du genre d’argument auquel on pouvait le croire accessible. On l’avait marié contre son gré, et il vivait éloigné de la princesse royale, affectant de n’user avec elle d’aucun des droits de l’intimité conjugale. Par l’intermédiaire de la reine sa mère, sœur de George II, l’Angleterre lui faisait offrir la main d’une de ses princesses pour le cas où il