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Kosaks retombaient à demi sous son autorité ; on les appelait Kosaks enregistrés, parce qu’ils acceptaient le contrôle du roi de Pologne sur le registre où ils étaient inscrits avec son aveu ; ce roi confirmait l’hetman-général élu par eux, un chef qui disposait de cinquante mille lances et traitait de puissance à puissance avec son suzerain de Varsovie.

Les transformations politiques et sociales de l’institution furent rapides durant ces deux siècles ; il est curieux de surprendre à l’œuvre dans cette société kosake, fondée sur l’égalité et la liberté absolues, les lois constantes qui régissent toute société humaine, portant au sommet les couches fortes, repoussant en bas les couches faibles-dans la sujétion et la souffrance. Le ramassis d’aventuriers des premiers jours devient une sorte d’ordre militaire, armé contre le Turc, imitation barbare des templiers ou des teutoniques ; puis, à l’exemple de ces derniers, une féodalité puissante, possessionnée en terres, où les plus favorisés réduisent les autres en servitude. Au XVIIe siècle, l’égalité chimérique des premiers Zaporogues n’était plus qu’un rêve lointain ; les familles d’hetmans et de grands-officiers avaient constitué une aristocratie qui ne différait guère de l’aristocratie polonaise ; quant à la liberté, elle était toujours l’idéal des Kosaks, mais, comme le dit fort justement M. Kostomarof, à être libres, pour eux, signifiait avoir des droits que les autres n’ont pas, » conception kosake plus répandue qu’on ne le pense. — D’où provenait la violence du courant d’émigration qui, en quelques années, peupla l’Ukraine libre et reflua sur l’Ukraine polonaise, après s’être retrempé aux franchises kosakes ? De la plus dure misère sociale qui ait jamais pesé sur un peuple. La Pologne orientale, qui s’étendait alors jusqu’au-delà de Kief, renfermait une population petite-russienne asservie par des seigneurs polonais ; tout séparait le paysan de ses maîtres, la race, la langue, la foi religieuse : la noblesse catholique et féodale traitait ces ilotes en bétail conquis ; le Petit-Russien était à la merci d’un seigneur dont aucune loi ne limitait les pouvoirs, dont les besoins étaient insatiables. Pour satisfaire au luxe fou qu’on étalait à Varsovie, les panes devaient épuiser leurs terres ; ils avaient trouvé plus fructueux de les affermer aux juifs, et cet intermédiaire impitoyable pressurait le serf avec sa rapacité proverbiale. La persécution religieuse sévissait de par avec les exactions et se confondait avec elles ; le Russe orthodoxe voyait, chose révoltante dans ses idées, le fermier juif auquel il était livré tout vivant taxer jusqu’aux cérémonies du culte, imposer les baptêmes, les mariages, les sépultures. Ce peuple misérable était traqué comme les bêtes de ses forêts ; tout ce qui l’entourait lui était ennemi : le seigneur, qui ne lui devait d’autre justice que la tonture, le juif qui l’affamait, le soldat des