Aller au contenu

Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/395

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

contestable que cette façon humaine de concevoir les forces de la nature ; la science entière la dément. Il n’y a ni dessein ni dessinateur, dans les arabesques que trace le sable fin sur les plaques vibrantes, au contact de l’archet qui les fait frémir : chaque grain de sable bondit, retombe, prend sa place et entre dans la composition d’une figure régulière qu’il ignore, que la plaque ignore, que l’archet ignore, que personne n’a d’avance dessinée. Donnez un nouveau coup d’archet qui change les relations mécaniques des ondes vibratoires et la place des « nœuds ; » aussitôt chaque personnage, je veux dire chaque grain de sable, entre dans une autre figure de danse et concourt sans le vouloir à former pour les yeux un nouveau petit monde. Ce monde est l’image du grand. Tout vibre sous l’archet de la Nécessité et tout se dispose en figures changeantes, dont les astres, les animaux, les hommes sont les nœuds passagers, les centres, soit pour des millions de siècles, pour quelques années, soit pour un jour.

Pas plus au dedans qu’au-dessus de la nature, les formes et dessins des choses n’autorisent à admettre, comme ressort du mouvement, un principe réel de beauté, une perfection réelle et immanente qui « meut les choses par l’amour qu’elle leur inspire. » M. Ravaisson relève fort bien les métaphores cause-finalières échappées à M. Littré, à M. Taine ou aux philosophes anglais ; mais il se sert lui-même, dans ses raisonnemens, en faveur d’une fin intérieure à la nature, d’un terme dont il avait pourtant montré l’ambiguïté et le vide, le terme de perfection. Il y a une perfection simplement mécanique ou dynamique, qui consiste dans l’appropriation d’un être au milieu, dans l’équilibre des forces et des conditions d’existence ; M. Ravaisson la confond avec la perfection intellectuelle, esthétique, morale ou même théologique, et finit par prendre un simple résultat pour un principe ou un but. Cette confusion nous semble frappante dans sa réponse à Auguste Comte. « Considérer, ainsi que l’avait proposé Auguste Comte, le phénomène supérieur comme la raison du phénomène inférieur, précisément parce qu’il présente la perfection de ce dont celui-ci n’a que le commencement, c’est nécessairement, quoique peut-être sans s’en rendre compte, sous-entendre dans la perfection une action efficace. » Non, Auguste Comte a voulu dire seulement que l’étude de l’être achevé, complet, adapté à ses conditions d’existence et parfait en ce sens tout naturel, rend plus facilement saisissables pour le naturaliste les phases antérieures de l’évolution vitale. M. Ravaisson n’a pas pour cela le droit d’attribuer à la perfection et à la beauté une « action efficace ; » il faut dire seulement que l’être mieux constitué est plus capable de vivre et conséquemment vit, engendre, se propage à travers les siècles : les conditions de la perfection sont ainsi des