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Induction, ni syllogisme. Au fond, c’est la doctrine à laquelle tendait déjà Leibniz. Ce dernier ; en effet, argumentant contre le mécanisme abstrait de Descartes, soutient d’abord que, s’il n’y avait dans les corps qu’une masse étendue et dans le mouvement qu’un changement de place, et si tout devait se déduire de ces définitions seules par nécessité géométrique, « il faudrait admettre quantité de règles tout à fait contraires à la formation d’un système ; » or il entend par système une simultanéité d’élémens harmoniques, une variété ramenée à l’unité sous une loi simple. De même, selon M. Lachelier, la conception des lois de la nature est fondée sur deux principes distincts : « l’un en vertu duquel les phénomènes forment des séries, dans lesquelles l’existence du précédent détermine celle du suivant ; l’autre en vertu duquel ces séries forment à leur tour des systèmes, dans lesquels l’idée du tout détermine l’existence des parties. Or un phénomène qui en détermine un autre en le précédant est ce qu’on a appelé de tout temps une cause efficiente, et un tout qui produit l’existence de ses propres parties est, suivant Kant, la véritable définition de la cause finale : on pourrait donc dire en un mot que la possibilité de l’induction repose sur le double principe des causes efficientes et des causes finales[1]. » D’autre part, un ensemble de choses ou système, où diverses séries viennent converger, est beau par cela même qu’il est harmonieux : la vérité scientifique est donc au fond beauté esthétique. Et c’est ce que Leibnitz, lui aussi, avait soutenu, en montrant que la perception des formes et des mouvemens est une réduction de la variété à une unité harmonique dans notre pensée, que la science est la conscience de cette harmonie, et que, par conséquent, ses principes sont beauté et convenance, non pas seulement nécessité géométrique ou logique.

Ce dernier retranchement où la finalité esthétique se réfugie, — l’idée même d’ordre, de système, de loi scientifique, — est-il un abri aussi sûr que le croit M. Lachelier ? — Toute l’argumentation de ce profond métaphysicien, dans son œuvre importante sur l’Induction, se ramène à deux points principaux : 1° il existe des systèmes de mouvemens, donc il y a des causes finales ; 2° ces systèmes sont stables, donc il y a des causes finales. — Examinons d’abord le premier argument. Selon M. Lachelier, tout ordre, tout système de mouvemens concordans est déjà une finalité ; en effet, il y a alors réciprocité entre le tout et les parties, et les parties ne se comprennent pas sans le tout : or, selon Kant, un tout qui détermine l’existence de ses propres parties est une cause finale ; donc un système de mouvemens implique une cause finale. — Cet argument nous semble renfermer une pétition de principe. Il y a deux façons possibles et très

  1. Du Fondement de l’induction, p. 16.