venait d’annoncer au prince Gortchakof, en vertu de ses instructions, que tout était conclu et que la France ne reculerait pas.
On raconte qu’un ministre des affaires étrangères, jaloux de ses prérogatives, en entendant à un bal de la cour sa souveraine s’expliquer librement sur les événemens du jour avec le chargé d’affaires d’un gouvernement allié, se permit de lui faire observer à voix basse, dans les termes les plus respectueux, le danger de s’engager dans des entretiens politiques avec des agens étrangers. La souveraine, dont ni le cœur ni l’esprit élevé ne soupçonnaient le mal, se retourna vivement vers le diplomate qui s’était effacé et lui dit à brûle-pourpoint : « Est-il vrai que vous rapportez toutes mes paroles à votre cour ? »
L’envoyé perdit contenance, il ne trouva pas de réponse ; le ministre intervint et répondit pour lui : « Un diplomate n’aurait pas de la situation de Votre Majesté une idée assez haute, et il manquerait à tous ses devoirs envers son gouvernement s’il ne lui rapportait pas fidèlement tout ce qu’elle daigne lui dire. »
Je ne sais si le prince de Reuss a joué un rôle dans cette aventure, mais toujours est-il qu’à la cour de Russie on s’exprimait devant lui avec une entière liberté sur les événemens du jour et que son gouvernement savait par le menu ce qui se disait entre Paris et Saint-Pétersbourg.
M. de Moustier joignait à une grande circonspection beaucoup de méfiance. Il prétendait qu’il s’était formé à la diplomatie en traitant avec les paysans franc-comtois, qui, disait-il, ne se livraient pas aisément. Il écoutait volontiers M. de Budberg se plaindre des tendances et des procédés de la Prusse ; il était ravi d’apprendre qu’à Pétersbourg on n’était pas toujours satisfait de Berlin, mais il ne lui convenait pas, tant qu’il traitait avec M. de Bismarck, de médire d’un futur allié. Il répondait Turquie quand l’ambassadeur lui parlait Allemagne. C’est à Constantinople, en intervenant en faveur des chrétiens, dont le vice-chancelier parlait avec componction, qu’il espérait se raccorder avec la Russie et jeter les bases d’une entente. Mais lorsqu’il s’aperçut qu’à Berlin, on cherchait plutôt à se dégager qu’à se lier, il jugea qu’il était temps de pressentir le prince Gortchakof et de l’amener adroitement à nous laisser lire dans les replis de son cœur.
« Nous comprenons, écrivait-il à la date du 8 février au baron de Talleyrand, que le prince Gortchakof nous demande des confidences ; mais ne pourrait-il pas nous aider un peu à les faire en nous disant quels sont au juste ses engagemens et quelles objections les combinaisons qui pourraient se produire soulèveraient de sa part ? Tâchez de le faire causer à fond. La situation de l’Allemagne est-elle de nature à le rapprocher de la France et doit-elle être envisagée de