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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/435

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combien elles rendaient difficile la tâche des puissances médiatrices. M. de Bismarck déclinait toute responsabilité ; il prétendait avec humeur n’exercer aucune action sur les journaux. Déjà il oubliait la profession de foi que récemment il avait faite à l’envoyé autrichien avec un réel accent de sincérité. « Il faut donner à la France, avait-il dit à M. de Wimpfen, de justes satisfactions, lui faire un pont d’or si elle veut vivre en paix avec la Prusse. » Il avait ajouté que c’était sa politique et qu’il cherchait à la faire prévaloir, dût-il y perdre sa popularité. On était dérouté, et on l’est encore, en face de tant de contradictions. On se demandait quel but poursuivait le premier ministre. Il semblait que plus ses journaux affirmeraient hautement la résolution de la Prusse de ne pas évacuer le Luxembourg, plus l’humiliation serait grande le jour où elle serait condamnée à retirer ses troupes. Au lieu de se faire un mérite envers la France de la bonne grâce de sa concession, on eût dit qu’il se préparait, de gaîté de cœur, un grave échec moral en laissant sa presse démuselée prêcher la guerre et se moquer des puissances signataires. Espérait-il par ces contradictions énerver et diviser la diplomatie européenne ? Comptait-il sur l’imprévu, sur un faux mouvement de la France, sur une témérité du gouvernement impérial ? Voulait-il impressionner la conférence de Londres par les manifestations du sentiment germanique et n’entendait-il y comparaître que la main sur la garde de son épée ? Battu en brèche à la cour par d’ardentes inimitiés, en était-il réduit à marcher à la remorque du parti national et du parti militaire, qui, grisés tous deux, réclamaient la guerre sans souci de l’intervention européenne ?

M. de Bismarck n’était pas alors, comme il l’est devenu depuis, un ministre incontesté. Son œuvre était incomprise, elle apparaissait compliquée, précaire, périlleuse. On exaltait, à la cour de Prusse, les combinaisons stratégiques des généraux au détriment de ses combinaisons diplomatiques. On l’accusait de modérantisme ; on rappelait qu’au quartier-général victorieux de Nikolsbourg, il avait, méconnaissant la supériorité prussienne, laissé échapper la Saxe, subi la ligne du Slesvig et celle du Mein. On insinuait qu’au mois de juillet 1866, M. de Goitz, mieux inspiré, avait obtenu de l’empereur, sans grand effort, le décuple de ce que son ministre lui avait prescrit de demander. On le proclamait un détestable administrateur ; on prétendait que sa constitution fédérale n’était pas née viable, qu’il sacrifiait la Prusse à l’Allemagne révolutionnaire. On disait que le jeu téméraire de sa politique conduirait tôt ou tard à des catastrophes, qu’elle ne pourrait plus, à moins d’abdiquer, s’arrêter en chemin, que, l’immobilité lui étant mortelle, elle poursuivrait implacablement sa route fatale, au détriment de la prospérité et de toutes les libertés, fût-ce sur des monceaux de