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l’espérer, vous estimez qu’il n’y a pas, qu’il ne doit pas y avoir de vrai plaisir de l’esprit sans un peu d’instruction qui s’y mêle ; si vous croyez qu’un romancier peut donner à penser ; si vous êtes curieux enfin de connaître don Juan Valera, mais de le connaître par ce qu’il y a dans son œuvre de personnel et d’original, alors vous lirez le Commandeur Mendoza. Vous y apprendrez du nouveau : ce que c’est que la casuistique, l’usage que le romancier peut en faire, ce que vaut enfin comme instrument d’analyse psychologique cette science tant décriée. Je ne voudrais pas généraliser trop hardiment, mais pourtant, en relevant dans la préface du traducteur ce qu’il nous dit d’un roman de Pedro de Alarcon, — el Escandalo, — comme en nous remémorant aussi des renseignemens glanés un peu de toutes parts, je suis tenté de croire qu’il y a là, dans cet emploi de la casuistique, en même temps qu’un trait qui caractérise la manière de don Juan Valera, un trait qui pourrait bien caractériser aussi le roman espagnol contemporain. Ce qui se conçoit. L’Espagne a trop longtemps été la terre d’élection des casuistes et de la casuistique pour que l’on ne s’en aperçoive pas encore aujourd’hui, de loin en loin, et jusque dans l’œuvre de ses romanciers. Car il y a toujours, heureusement, parmi chaque génération d’hommes, quelques représentans de toutes les générations qui l’ont précédée dans l’histoire. C’est ce qui fait la variété de l’art, le plaisir de la conversation, et la consolation de la vie.

On ne saurait dire si le mot de casuistique nous est devenu, depuis les Provinciales, plus ridicule ou plus odieux. Seulement, la casuistique, au vrai, n’est rien ou presque rien de ce qu’il nous plaît d’entendre sous le mot. On la définit, d’ordinaire, par une simplification quelque peu perfide, comme une composition scandaleuse entre le devoir et l’intérêt. Votre devoir est d’agir d’une façon prévue par la morale ; votre intérêt est d’agir d’une façon contradictoire suggérée par la circonstance : la casuistique serait l’art de trouver un biais qui tranquillisât la conscience sur l’accomplissement du devoir en donnant à l’intérêt toute liberté de courir à son assouvissement. Mais ce n’est pas là la casuistique : ce n’en est que la corruption. La vraie casuistique est l’approfondissement et la codification des motifs qui doivent régler la conduite dans les cas, si nombreux et si difficiles, où le devoir se trouve en conflit, non du tout avec l’intérêt, mais avec le devoir lui-même. Je ne sais comment agir parce que, dans l’enchevêtrement des circonstances données, de quelque manière que j’agisse, il me paraît que je vais transgresser une obligation formelle ; voilà le cas de conscience : mais il doit y avoir un principe de distinction et des raisons de subordonner, dans l’espèce, la transgression de l’une de ces obligations à l’exécution de l’autre ; quel est ce principe, et comment l’appliquer ? voilà toute la casuistique. Ceux-là seuls en peuvent contester les titres