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voir sans doute par quelque moue significative qu’à sa connaissance on n’avait pas toujours parlé sur ce ton au Rheinsberg : « Ah ! dit-il, il ne faut pas prendre garde à ces petites plaisanteries qui m’échappent, c’est le langage de mon caractère ; j’en suis fâché ; mais essentiellement je le dispute à tout le monde pour une véritable estime et même une vénération pour un aussi grand homme doué de tant de qualités singulières. Ma foi, monsieur, c’est le plus grand homme que la France ait eu jusqu’à présent. » « Quant à l’armement, ajoute Valori (transmettant sans délai le compliment au cardinal lui-même), il me dit que je devais être tranquille, que cela ne dérangeait en rien les vues que nous pourrions avoir, que je serais un des premiers informé de ses raisons et des motifs qu’il croyait être bien fondés, et que le roi ne devait en prendre aucun ombrage. » Tout cela était si peu clair qu’en terminant, Valori disait encore : « J’incline à croire qu’il s’entend avec le grand-duc et que Votre Éminence en est prévenue[1]. »

La seconde conversation fut plus significative. Frédéric demanda nettement si l’intention de la France, comme son intérêt, n’étaient pas d’enlever la couronne impériale à la maison d’Autriche et de la donner à l’électeur de Bavière, et, dans ce cas, si le roi ne serait pas heureux de son alliance ? Notez qu’à la même heure on offrait en son nom la même couronne au grand-duc.

« Je répondis, dit Valori, qu’il m’était impossible de rien conjecturer des sentimens de Son Éminence, mais que je me croyais suffisamment autorisé à l’assurer que le roi répondrait avec plaisir aux démarches qu’il voudrait faire pour se lier avec lui, et sur ce qu’il ajouta qu’il avait plusieurs projets qui étaient tous très convenables aux intérêts de la France, je lui demandai s’il voulait me faire la grâce de m’en communiquer un et que je le ferais partir par courrier. — Il dit qu’il fallait savoir avant ce que pensait M. le cardinal, que je pouvais lui mander qu’il avait envoyé le comte Truchess en Angleterre, mais que dès qu’il aurait des sûretés de traiter avec Sa Majesté, il le ferait revenir. — Je lui dis ensuite que le bruit était public à Vienne qu’il avait pris des engagemens avec le grand-duc et qu’il l’avait même assuré de trois voix pour la dignité impériale. — Il me répondit qu’il s’en fallait de beaucoup, que sa voix était encore à louer, mais que, s’il ne trouvait pas jour à s’allier avec le roi, il chercherait des amis pour seconder ses vues, que pour lui, il lui serait assez indifférent qui fût empereur, et qu’à cet égard il ne se conduirait que relativement à ses intérêts ou à ceux de ses alliés, mais qu’il me répétait encore que son amitié n’était

  1. Valori au cardinal, 10 décembre 1740. (Correspondance de Prusse, ministère des affaires étrangères.)