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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/525

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cacher et se trahir, ajoutât ces tristes réflexions : « Le roi de Prusse ne répond pas comme il faut : son sentiment est de se retourner d’un autre côté, de manière à n’être pas la dupe d’un prince qui entame des négociations partout et croit opérer des merveilles en ne concluant nulle part… Comme je parle tout haut avec vous, monsieur, je ne craindrai pas de vous dire que légèreté, présomption, orgueil, sont la base de ce caractère, et vous me plaindrez un peu d’avoir à me gouverner au travers de tout cela[1]. »

Mais il était trop tard, et Belle-Isle, aussi bien que Fleury, engagés l’un et l’autre dans l’engrenage, n’avaient plus liberté d’en sortir. Par retour de courrier, Valori reçut l’ordre d’en passer par tout ce que voulait Frédéric : promesse de soutenir l’électeur de Bavière autrement que par des écritures, garantie de la Basse-Silésie, tout fut accordé sans difficulté. — « Quand le roi, disait la dépêche ministérielle non sans quelque mélancolie, a proposé un traité d’alliance, il en a compris la conséquence. » — La seule condition demandée et d’ailleurs déjà offerte et acceptée d’avance était la renonciation aux droits de la Prusse sur les duchés de Juliers et de Berg, stipulation absolument nécessaire pour obtenir à la diète la voix de l’électeur palatin. Enfin ces concessions, déjà si compromettantes, étaient faites avec si peu de confiance et d’entrain que Valori recevait l’ordre de n’en pas laisser la trace écrite entre les mains d’un prince qui pourrait avec fondement être soupçonné d’en faire mauvais usage[2].

Rien n’était plus propre à faire sentir à Frédéric toute sa force et le besoin qu’on avait de lui, et il était douteux même que tant de faiblesse atteignît son but. Je ne sais, en effet, ce qui serait advenu si, au même moment, l’envoyé anglais eût pu annoncer, de son côté, que la proposition médiatrice était acceptée par l’Autriche. Le joueur le plus déterminé hésite à doubler sa mise quand on lui offre de mettre en poche, sans nouveau risque, le montant doublé de son premier enjeu. Mais, — faut-il dire par bonheur ou par malheur ? — rien de pareil n’eut lieu. Car, tandis que Versailles se montrait si complaisant, Vienne fut inflexible. Pas plus sous forme détournée qu’à ciel ouvert, ni par voie d’emprunt plus que de vente, l’idée d’aliéner un pouce du territoire autrichien ne fut admise seulement à l’honneur d’une discussion. « On n’avait jamais offert, fut-il dédaigneusement répondu, de l’argent à ceux qui n’en demandent pas. » Le ministre anglais qui, sans s’être mis directement en

  1. Valori à Amelot (Correspondance de Prusse, ministère des affaires étrangères), 7 février 1741.
  2. Amelot à Valori, ibid., 21 22 février 1741.