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les blessés de l’existence ; il me semble que l’on y peut vivre heureux rien qu’à regarder les montagnes et la mer. Que de fois, dans mes heures douloureuses, j’ai rêvé d’aller me réfugier, là et d’entrer dans l’apaisement que donne la contemplation de la nature ! J’y serais peut-être mort d’ennui ; à l’ardeur avec laquelle les hommes les plus intelligens de la colonie française attendaient le courrier de France et se jetaient sur les journaux, j’aurais pu comprendre que les arbres, les monts, les océans et les fleuves, si imposans qu’ils soient, ne suffisent pas à tous les besoins de l’âme humaine.

En Syrie, en Palestine, les souvenirs historiques ne manquent pas plus qu’en Égypte ; l’histoire des Juifs, l’histoire des croisades, se substituent à l’histoire des pharaons, des Ptolémées et des khalifes ; l’enceinte des villes maritimes, les forteresses, les églises gothiques, les chapelles abandonnées, les ruines des monastères parlent du temps des Bouillon, des Philippe-Auguste et des Richard, tandis que la nature elle-même est l’énergique commentaire de la Bible. La terre étant sans merci, le peuple qui l’habita fut sans pitié, cela est naturel. Sur Jérusalem, sur les rochers qui la dominent et l’entourent, sur les pays désolés qui vont vers la Mer-Morte, la malédiction de Dieu semble peser encore. Comme autrefois, la discorde est au temple : catholiques, orthodoxes, schismatiques, Latins, Grecs, Abyssins, Coptes, Arméniens sont prêts à tirer le couteau pour se disputer la tombe révérée. Le musulman est là, fort heureusement ; il maintient les frères ennemis, il les protège, à coups de bâton il est vrai, mais il sauve le saint sépulcre, qui, sans lui, disparaîtrait et serait détruit au milieu de la mêlée générale. Toutes ces sectes rivales se haïssent et essaient, par l’ingérence de leurs consuls, de dominer les unes sur les autres. Le Turc écoute les plaintes, ne donne satisfaction à aucune exigence et entretient les divisions qui lui assurent le pouvoir, tandis que le juif va pleurer ses nénies sur les ruines du sanctuaire, où l’on prononçait le nom ineffable. Les partis hostiles étaient en trêve à Jérusalem en 1850, et trois ans plus tard cependant, d’une petite chapelle de Bethléem, devait sortir la contestation qui amena la guerre d’Orient, l’expédition de Crimée et la prise de Sébastopol. Le consul de France, qui engagea le conflit, était déjà à Jérusalem, lorsque nous y arrivâmes, le 8 août.

C’était Paul-Émile Botta, hospitalier comme un chef de grande tente, érudit, archéologue perspicace, connaissant les langues de l’Orient, maigre comme un ascète, inquiet, nerveux, fou de musique, mangeur d’opium et charmant. Il avait alors une cinquantaine d’années ; la grâce l’avait touché, il se considérait comme le gardien du tombeau de son Dieu ; il détestait Voltaire, il détestait