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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/608

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conseils de la modération. Ce qui l’inquiétait surtout, c’était l’étrange attitude de la Russie ; il disait que le prince Gortchakof ne parlait de l’affaire du Luxembourg que pour y mêler les affaires d’Orient. Toutes les chancelleries étaient convaincues qu’on en était revenu à Berlin à la tactique qui avait si parfaitement réussi en 1866 avec la Saxe et l’Autriche ; comme alors, pour ne pas assumer la responsabilité d’une agression préméditée, on affirmait qu’il ne restait plus à la Prusse désarmée et menacée qu’à prendre conseil de l’intérêt de sa sécurité et à recourir à l’offensive plutôt que de se laisser attaquer.

Tous les efforts tentés en faveur de la paix semblaient compromis lorsque la presse officieuse, sur un nouveau mot d’ordre, fit, au moment où l’on s’y attendait le moins, une brusque volte-face. Elle disait que, la France s’étant amendée dans son attitude, il n’y avait plus lieu de désespérer du maintien de la paix. Ce n’était pas l’attitude de la France qui s’était modifiée, c’était la Prusse qui, ébranlée par les remontrances parties à la fois de Londres, de Vienne et même de Saint-Pétersbourg, se soumettait enfin à la pression de l’Europe ; le gouvernement impérial n’était sorti ni par un acte, ni par une parole de la position strictement expectante dans laquelle il se cantonnait depuis le 5 avril. Les journaux officieux préparaient l’opinion à l’évolution qui s’opérait dans les conseils du gouvernement. M. de Bismarck venait en effet de déclarer, officiellement cette fois, à M. d’Oubril, qu’il acceptait la conférence et que, sous certaines conditions, il consentirait à l’évacuation du Luxembourg, Il restait à déterminer le mode d’invitation et à arrêter le programme des délibérations.

Tout le monde demandait à être de la conférence. Le Danemark, le Portugal, l’Espagne, la Belgique et l’Italie sollicitaient leur admission, c’étaient les ouvriers de la dernière heure, ils se présentaient après la tourmente. Leurs prétentions étaient peu justifiées, celles du cabinet de Florence surtout n’étaient pas soutenables, au dire même du comte de Bismarck[1]. L’Italie n’était qu’une expression géographique à l’époque où s’étaient signés les actes de 1839, et, sauf quelques démarches platoniques tentées à Berlin, elle avait fait la morte tant que la France était en péril. Elle se disait l’amie de tout le monde, elle se dérobait en invoquant à Berlin les souvenirs de 1859, à Paris ceux de 1866. Elle soutenait qu’il lui était difficile de s’engager, soit d’un côté soit de l’autre, car si, avec l’aide de

  1. Lettre de M. Benedetti : — « M. de Bismarck a évité de se prononcer sur l’admission à la conférence de la Belgique et de l’Italie. Il trouve que les considérations invoquées pour justifier la participation de la première de ces puissances ne peuvent aucunement servir de titre à la seconde. »