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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/610

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d’affaires étaient partagés entre la crainte de déplaire et le sentiment de leur devoir. Ils savaient d’ailleurs que leurs appréciations revenaient aussitôt aux oreilles de la diplomatie italienne ; on lui faisait l’injure de croire, car on ne lui cachait rien, que l’amour qu’elle affectait pour la France allait jusqu’à lui sacrifier les intérêts dont elle avait la défense. L’empereur n’en recevait pas moins de sages avis. On ne lui laissait pas ignorer, au risque de le froisser dans ses illusions, qu’il n’avait rien à attendre de l’Italie et que, loin de nous prêter son assistance, elle spéculait sur les événemens pour violer la convention du 15 septembre et s’emparer de Rome.

L’attitude réservée, pour ne pas dire ambiguë, du cabinet de Florence donnait à réfléchir. L’empereur n’en tirait aucune moralité, sa foi n’en était pas ébranlée, il avait à cœur d’assurer à l’Italie, par sa participation à la conférence de Londres, la consécration de grande puissance et la sanction implicite des faits accomplis dans la péninsule. Il persistait à tenir l’alliance italienne pour certaine dans toutes les éventualités. Il puisait sa confiance dans les lettres qu’il échangeait avec le roi Victor-Emmanuel, dans les affirmations passionnées du prince Napoléon, et dans les protestations incessantes du chevalier Nigra et de M. Vimercati, son secret intermédiaire. Il oubliait que le roi Victor-Emmanuel, tout populaire, tout sincère qu’il pût être, était un souverain constitutionnel, et qu’au jour des épreuves, il aurait, avant de se souvenir de ses promesses écrites ou verbales, à compter avec son ministère et avec son parlement ; il le lui avait fait comprendre déjà le 4 juillet, au lendemain de Sadowa ; il devait le lui faire sentir plus cruellement encore au mois de juillet 1870.

La conférence serait-elle convoquée par les trois grandes puissances signataires ou par le roi grand-duc ? Les avis étaient partagés. La Russie, d’accord avec le cabinet de Berlin, se prononçait pour la convocation collective ; l’Angleterre, avec le cabinet de Vienne, préférait en laisser l’initiative au roi des Pays-Bas. Ce fut l’opinion du cabinet anglais qui prévalut. Il était moins aisé d’arrêter le programme. M. de Bismarck ne voulait pas se lier d’avance ; il entendait ne paraître à Londres que libre de tout engagement. Il n’admettait pas la prétention de lord Stanley de transformer la conférence en arbitrage et de soumettre à sa discussion un projet de traité tout libellé. L’évacuation, d’après lui, ne devait être que la conséquence et non la base des délibérations ; il réclamait, pour assurer la neutralisation du grand-duché, la garantie formelle et individuelle des puissances ; il réclamait aussi le démantèlement, pour bien montrer, disait-il, que la forteresse ne saurait plus désormais devenir un sujet de convoitise et de dissentiment entre la France et la Prusse. Il cherchait surtout à circonscrire le programme à la question du Luxembourg, afin de se prémunir contre les