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battre en retraite et à clore l’incident qu’elle avait si perfidement soulevé. Mais elle se repliait la menace à la bouche ; elle reprenait même l’offensive pour entraver l’impulsion vigoureuse imprimée à nos préparatifs, pour impressionner les plénipotentiaires qui déjà étaient réunis à Londres et arracher à lord Stanley la garantie qu’il refusait obstinément.

Le gouvernement prussien en persistant dans ses récriminations jusqu’à la veille de la clôture de la conférence, dont le succès n’inspirait plus de doutes, semblait vouloir donner à l’Europe un étrange spectacle, celui d’apposer sa signature le même jour sur deux actes contradictoires, l’un consacrant la paix et l’autre ordonnant la mobilisation.

M. de Moustier était indigné de l’obstination calculée qu’on mettait à suspecter nos intentions et à dénaturer nos actes. « Je nie avec la dernière énergie, écrivait-il, que nous soyons à un degré quelconque dans la situation militaire que de faux rapports signalent au gouvernement prussien. Goltz n’hésite pas à le reconnaître hautement. Il y a là une véritable aberration, s’il n’y a pas un odieux calcul d’agression, comme l’an dernier vis-à-vis de l’Autriche. Si le parti militaire prussien devait continuer à compromettre la paix par des accusations systématiques et sans fondement, nous ferons appel à l’équité des cabinets européens, qui ne se méprendront pas sur le véritable état des choses. »

Le ministre prussien haussait les épaules. Ces protestations indignées le touchaient peu ; il avait son idée, il n’en démordait pas ; il lui convenait d’affecter la crainte, de transformer la France, qu’il savait impuissante, en croquemitaine, de la montrer menaçante, armée jusqu’aux dents. Il ne reculait devant aucun argument pour nous mettre en contradiction avec nos assurances pacifiques. Il en puisait partout, dans les rapports militaires, dans les dépêches politiques. Il nous les opposait en quelque sorte publiquement par des télégrammes expédiés en clair. Il dédaignait l’usage du chiffre, qui permet d’atténuer les réclamations irritantes. Peu lui importait notre amour-propre ; il entrait dans ses calculs de nous exaspérer et de nous entraîner aux résolutions que suggère l’indignation. Il devait recourir à un procédé analogue au mois de juillet 1870 ; il se servit alors, pour nous pousser à bout, d’une agence semi-officielle, l’agence Wolff, pour annoncer, dans une dépêche retentissante, que le roi, insulté par l’ambassadeur de France, avait refusé de le recevoir.

Voici ce que M. de Bismarck télégraphiait en clair au comte de Goltz, de façon à ce que personne n’en ignorât : « Le baron de Werther m’écrit de Vienne que le duc de Gramont reconnaît lui-même, contrairement aux assurances de son gouvernement, que les achats