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« Monseigneur, aujourd’hui madonna Isotta m’a fait vous écrire au sujet de la fille du seigneur Galeazzo. Celui-là a bien dit, monseigneur, qui prétend que les jeunes poules font du maigre bouillon. Ces jours-ci nous nous sommes rendus chez cette fille, et en somme elle a tout nié et nous a fait bon visage. Isotta, monseigneur, selon moi, lui a dit tout ce qu’on pouvait lui dire. Tous vos fils et filles se portent bien. Dans le pays où vous êtes, à propos de la prise du château fort, on est en joie et triomphe. Ici nous sommes en mauvaise situation et on dirait que nous naviguons sans boussole, abandonnés au courant. Madame Lucrezia a dû écrire ces jours-ci à Votre Seigneurie ; je suppose qu’elle aura eu sa lettre. Elle et tous les autres se recommandent à vous.

« Donnée au jour de XXI de décembre.

« De la V. S. serva D. de M. »


Même date, même écriture ; au début de la lettre, ce simple énoncé : « Aujourd’hui, Madame Isotta m’a fait vous écrire au sujet de la fille du seigneur Galeazzo. » — Donc, la personne qui a signé cette seconde lettre a écrit la première, et elle l’a signée du nom d’Isotta sous sa dictée, car le corps de la lettre est de la même main que la signature. Il importe peu de savoir qui est D. de M. (pour moi D. de Malatesta, un parent pauvre, une confidente, un espion ou un serviteur laissé par Sigismond à la garde d’Isotta) ; mais ce qui est capital, c’est le fait qui ressort de cette circonstance : si madonna était absente, si elle était malade, empêchée, on pourrait admettre que, même en un sujet aussi réservé, elle eût employé un secrétaire ; mais, elle ne l’est point, puisque le même jour où elle fait écrire à son amant au sujet de la fille du seigneur Galeazzo, elle se rend avec son secrétaire chez celle-ci et lui lave la tête (c’est l’exacte traduction de la pensée exprimée). — Comment éviterai-je donc la conclusion ? Elle me semble inéluctable : « L’honneur de l’Italie » ne savait pas écrire, et c’est le pendant d’Agnès Sorel[1].

On comprend que je résume à grands traits et que je dois courir au but. Il ne s’agit point d’analyser cette curieuse série des lettres malatestiennes, qui offre maints détails curieux sur les mœurs privées du XVe siècle ; il s’agit de restituer autant que possible cette personnalité d’Isotta, et on avouera qu’il est impossible, au début, de trouver une preuve d’une nature plus inattendue. S’il y a quelque chose d’inexplicable dans ces assertions des poètes et des historiens

  1. J’ai communiqué les textes photographiés aux hommes les plus compétens ; c’est l’avis de César Cantù, c’est celui de Milanesi, si expert en ces matières ; quant à M. Banchi, le préfet des archives de Sienne, c’est lui qui, le premier, a appelé mon attention sur ce fait, et sa conclusion est formelle.