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Page:Revue des Deux Mondes - 1881 - tome 48.djvu/701

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dramatique, et même un peu son devoir ; il peut signer de la même plume Séraphine et Daniel Rochat. De toute question il peut montrer et l’endroit et l’envers, pourvu, que l’envers et l’endroit soient également comiques ou pathétiques, selon le genre. M. Sardou n’est ni sénateur, ni député, ni seulement ministre : j’inclinerais à croire que son avis, sur la question du divorce est qu’elle est bonne à faire rire une année, à faire pleurer l’année suivante. Aussi bien, dans l’espèce, l’argument dont je parle n’a été que l’occasion du sujet choisi ; au cours de l’ouvrage, il ne garde qu’une valeur d’artifice et qu’il ne faudrait pas examiner à la rigueur. Si quelqu’un s’avisait de regarder d’un peu près quel empêchement met la loi au bonheur de cette jeune fille, il découvrirait sans doute que la réalité de l’obstacle est assez mince. Le risque fâcheux que l’on court à épouser la fille d’une comtesse Odette, c’est qu’un jour éclatent en elle ou l’hérédité du vice ou les effets d’une éducation soit pernicieuse, soit incomplète ; mais, ce n’est pas parce que Mme de Clermont-Latour aura pris un nom de guerre pour traîner à l’étranger le reste de sa vie que M. de Méryan sera sûr d’avoir toujours en Bérengère une femme bonne et fidèle. D’ailleurs, sans paradoxe, on peut juger le moment mal pris pour déplorer que la honte de la mère éclabousse le nom de la fille, quand justement la fille elle-même va quitter ce nom pour un autre. Il est vrai que l’homme, dont elle va tenir celui-ci exige pour le lui donner que celui qu’elle quitte soit lavé d’abord : singulière exigence, qui réduirait la pauvrette à rester nue entre deux noms ; bizarre naïveté, qui me fait mal augurer du courage et de l’esprit de ce Méryan ! Mieux vaudrait peut-être pour Bérengère que sa mère refusât de se sacrifier à un tel mariage, et qu’ainsi, par force, elle en attendit un autre.

Mais, encore une fois, cet argument du nom, bien qu’il serve à l’affabulation de la pièce, n’est point essentiel à l’ouvrage. Odette ne veut pas être et n’est pas une thèse dialoguée, mais un drame de caractère. Trois personnages, le père, la mère, la fille, étant posés dans telle situation, il s’agit de nous faire voir l’âme de chacun des trois, éclairée tant par sa lumière intime que par le reflet des deux autres. Voilà, n’en doutez pas, ce qu’a voulu faire M. Sardou : cherchons s’il a maintenant un peu plus que l’honneur de l’avoir entrepris.

Oui, certes, il a davantage ; quand ce ne serait que pour la merveilleuse manière dont il a d’abord établi la situation de ses héros. Le premier acte, ou plutôt le prologue d’Odette, a surpris même les admirateurs les plus décidés de M. Sardou par sa netteté, par sa brièveté, par sa rapidité hardie. Le comte de Clermont-Latour revient de la campagne, à l’improviste, au milieu de la nuit, — en amoureux, pour faire une surprise à sa femme, — non pas, entendez bien, en jaloux, pour la surprendre. Comme il traverse le salon, une porte condamnée s’entr’ouvre ; il saute à la gorge du voleur qui pénètre ainsi chez lui.